Turcot au carrefour des défis extrêmes

22 septembre 2015
Par Rénald Fortier

Jamais une reconstruction routière ne se sera révélée aussi gigantesque que complexe au Québec.  Bienvenue dans l’univers du mégachantier des infrastructures principales de Turcot.

Deux millions de tonnes métriques d’agrégats, 135 000 mètres cubes de pavage en béton de ciment, 120 000 tonnes d’enrobés bitumineux… Un simple coup d’oeil aux volumes de matériaux que nécessitera la reconstruction des infrastructures principales du complexe Turcot, véritable plaque tournante du réseau routier montréalais, suffit vite à prendre la mesure de l’ampleur des ouvrages qui seront réalisés d’ici 2020.

 

Cette transformation extrême du carrefour des autoroutes 15, 20 et 720 s’articulera principalement autour de la construction de quatre grands échangeurs (Turcot, Montréal- Ouest, Angrignon et de La Vérendrye), d’un pont à haubans au-dessus du canal de Lachine et de quelque 145 kilomètres de voies routières. Sans oublier, dans une moindre mesure, le déplacement des infrastructures ferroviaires du Canadien National (CN) vers le nord.

 

Ce mégachantier se traduira par l’érection de plus d’une quarantaine de structures – près de 70 % de moins qu’actuellement, jumelée au démantèlement de celles en service depuis la seconde moitié des années 60. Autant d’ouvrages qui devront être réalisés à l’intérieur d’un échéancier ne laissant pas de place à l’erreur, ou si peu, et au beau milieu d’un trafic tout aussi intense qu’incessant. De là à penser que leur mise en oeuvre s’accompagne d’énormes défis, notamment sur le plan logistique, il n’y a qu’un pas que l’on peut franchir d’un trait.

 

Des défis qui interpellent au premier chef KPH Turcot, le partenariat chargé d’orchestrer la reconstruction des infrastructures principales sur la base d’un contrat de conception- construction de 1,54 milliard de dollars. Et que cette équipe formée de Construction Kiewit et Parsons du Canada a entrepris de relever sitôt après avoir été sélectionnée par le ministère des Transports du Québec (MTQ), à la fin de la dernière année, à la suite d’un appel de propositions lancé au printemps 2013.

 

Sébastien Marcoux et Jean-François Poulin - Photo de René-Claude Senécal

 

« C'est un projet complexe, observe d’entrée de jeu Sébastien Marcoux, directeur adjoint de projet chez KPH Turcot. Les nouvelles infrastructures seront construites dans un environnement urbain où circulent environ 300 000 véhicules par jour, à proximité des résidents de surcroît. Nous allons construire des ouvrages en même temps que nous allons en démanteler d’autres, ce qui restreindra davantage l’espace de travail. Il faudra en tenir compte puisque l’on va avoir des structures en construction à certains endroits où la route existante sera encore en place. »

 

Celui qui est aussi directeur des opérations de Construction Kiewit au Québec signale qu’il faudra en outre composer avec les travaux de génie civil et de voirie qui seront effectués par d’autres donneurs d’ouvrage sur l’île de Montréal. La Ville, ses arrondissements et la société Les Ponts Jacques-Cartier et Champlain, bien sûr, mais également le MTQ qui poursuivra jusqu’en 2017 les importants travaux préparatoires qu’il mène en mode conventionnel depuis 2011 dans le cadre du projet Turcot. En plus de ceux visant à maintenir les vieilles structures de l’échangeur jusqu’à ce qu’elles soient démantelées.

 

« La gestion de la mobilité des déplacements, dit-il, représente donc l’un des défis les plus importants que pose la réalisation du projet. L’obligation de maintenir la fluidité de la circulation tout au long de l’exécution des travaux va exiger beaucoup de coordination entre tous les intervenants concernés, mais surtout une excellente planification de notre part. »

 

Planification : voilà le mot clé est lâché, car elle devra nécessairement être réglée au quart de tour pour s’assurer de l’efficacité optimale des chemins de détour qui seront aménagés. Tout comme de celle du phasage des travaux à exécuter de façon concourante dans cinq secteurs (Ouest, Centre, Est, Sud et CN), les séquences devant s’emboîter dans une suite sans faille pour éviter les retards sur l’échéancier et les entraves à la circulation.

 

C’est sans compter que l’approvisionnement en matériaux et la disposition de ceux déjà en place exigeront une chorégraphie sans aucun accroc. D’autant plus que l’on vise à optimiser la réutilisation des sols d’excavation et du béton des structures existantes dans les nouveaux ouvrages. Des matériaux résiduels qu’il faudra donc déplacer et replacer précisément à l’endroit où ils seront réintroduits dans les nouveaux ouvrages.

 

Démarrage des travaux

La planification a été entamée dès janvier dernier, en même temps que la conception. Pas moins de 150 personnes s’y affaireront cette année au sein de KPH Turcot, partenariat qui compte aussi deux participants : la société de génie conseil WSP et le fournisseur de matériaux et services de construction Holcim (Canada).

 

La reconstruction se traduira notamment par la mise en place d’une quarantaine de structures, soit près de 70 % de moins qu’actuellement. - Photo de MTQ

 

Les travaux sur le chantier n’ont également pas tardé à s’ébranler. Dès le contrat de conception-construction signé avec le MTQ, à la fin février, KPH Turcot a enclenché la mobilisation de ses installations sur le chantier ainsi que les travaux préparatoires liés au déplacement des voies du CN (actuellement situées dans la cour Turcot).

 

Jean-François Poulin, directeur du projet chez KPH Turcot, explique : « Il y avait des matériaux compressibles sous les futures voies du CN et il fallait y en placer d’autres permettant de compenser sur le plan géotechnique. Le ministère des Transports avait mis en pile des matériaux, au-dessus d’un million de mètres cubes, en vue de l’exécution de ces travaux préparatoires. Nous en avons déplacé environ 400 000 mètres cubes là où le CN construira ses nouvelles infrastructures. »

 

Cette première étape étant déjà chose faite, le partenariat est maintenant passé aux importants travaux d’excavation à exécuter dans la cour Turcot, le secteur Ouest du mégachantier. Il doit y remplacer un très grand volume de matériaux compressibles, notamment de la tourbe, par des matériaux ayant les propriétés requises pour servir de fondation à des voies autoroutières. Les premiers ouvrages structuraux, eux, devraient démarrer en août prochain.

 

Quelque 300 travailleurs seront à pied d’oeuvre sur le terrain en 2015, effectif qui grimpera jusqu’aux environs de 700 à la pointe en 2017. Plus de 350 personnes affectées au projet dans l’équipe KPH Turcot s’activent pour leur part cette année à la conception, à la planification, à la demande d’autorisation de permis environnementaux et à la supervision des opérations directement sur le chantier.

 

« L’activité du côté de la conception sera intense au cours des deux prochaines années, indique Jean-François Poulin, puis elle ralentira au fur et à mesure que s’accélérera la cadence des travaux de reconstruction. Dès 2016, nous allons commencer à réaliser de grands ouvrages en différents endroits sur ce chantier qui s’étendra sur environ huit kilomètres d’est en ouest et sur trois kilomètres dans l’axe nord-sud. Des ouvrages d’excavation, de remblai et de structure auxquels se superposera le démantèlement progressif des infrastructures existantes vers la fin de l’année. »

 

Cette reconstruction des infrastructures principales de Turcot nécessitera évidemment le concours de nombreux fournisseurs de systèmes, produits et services : acier d’armature, signalisation ou garde-corps pour couper à l’énumération tellement la liste pourrait s’allonger encore longtemps. « Nous préparerons des lots pour aller en sous-traitance dans plusieurs domaines spécifiques au fur et à mesure que nous développerons la conception et arrêterons les échéanciers », conclut Sébastien Marcoux.

 

RECONSTRUCTION DÉCHIFFRÉE
  • 1 contrat de conception-construction de 1,54 milliard de dollars
  • 4 échangeurs (Turcot, Montréal-Ouest, Angrignon et de La Vérendrye), 1 pont haubané et 145 kilomètres
  • de voies routières
  • un peu plus de 40 structures à construire
  • près de 5 millions de mètres cubes d’excavation
  • 2 millions de tonnes métriques d’agrégats
  • plus de 300 000 mètres cubes de béton à démanteler
  • 135 000 mètres cubes de pavage de béton de ciment
  • 120 000 tonnes métriques d’enrobés bitumineux
  • près de 70 000 mètres carrés de murs de soutènement
  • 50 000 mètres cubes de structures de béton
  • près de 21 000 tonnes métriques d’acier de structure
  • 350 personnes s’affairant à la conception, la planification et la supervision des travaux en 2015
  • 300 travailleurs à pied d’oeuvre sur le chantier en 2015 et une pointe de 700 ouvriers en 2017

 

BONIFICATION DU PROJET

Si le MTQ a retenu le mode conception-construction pour la reconstruction des infrastructures principales de Turcot, c’est parce qu’il s’agissait d’un projet impliquant la gestion et l’exécution simultanée de travaux dans plusieurs secteurs, à l’intérieur d’un échéancier serré de surcroît, ainsi que le maintien en tout temps de la circulation.

Pour Sébastien Marcoux, il ne fait pas de doute que ce mode de réalisation permettra de livrer un projet bonifié au final, d’autant plus qu’il avait initialement été bien défini par le MTQ. Il précise : « Le premier point, c’est au niveau de l’échéancier, parce que cette approche nous permet de mener plusieurs activités en parallèle. Nous établissons donc nos priorités de conception en fonction de notre échéancier de construction.

« Nous allons commencer le design d’une structure parce que c’est la prochaine que nous devons construire, ajoute-t-il. Aussitôt que la conception est terminée, nous pouvons amorcer les travaux et continuer de même en fonction des priorités figurant au calendrier et, par exemple, procéder également aux demandes de permis au niveau de l’environnement. »

Soulignons que le contrat de conception-construction octroyé à KPH Turcot est à prix et à date fixes. Et il prévoit notamment que le partenariat fournira une garantie postconstruction sur la base de laquelle il demeurera responsable des défectuosités pendant cinq ans – quatre pour le marquage – à compter de la mise en service.

 


Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2015. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !