Un entrepreneur peut-il être condamné pour l’inscription sans droit d’une hypothèque légale ?

  • Le cabinet Dufresne Hébert Comeau compte plus d'une trentaine d'avocats spécialisés dans les domaines du droit municipal et de la construction, en droit du travail, en droit de l'environnement, en droit administratif et en litige civil et commercial.

28 mars 2014 | Par Me Alexandre Lacasse, avocat

Le 6 décembre 2013, dans l’affaire Delacretaz c. Triple AAA Architecture and Construction inc. (2013 QCCA 2089), la Cour d’appel a condamné un entrepreneur à payer 10 000 $ à son client pour le dédommager de l’inscription sans droit d’une hypothèque légale de la construction sur sa propriété.

On voit parfois ce type de réclamation dans des procédures judiciaires, mais il s’agit d’un rare cas où une telle réclamation a été accordée par les tribunaux. En effet, les tribunaux reconnaissent aux entrepreneurs (comme à tous les plaideurs d’ailleurs) le droit de se tromper dans l’application du droit ou même de tenter de faire évoluer le droit en plaidant de nouveaux arguments, sans pour autant les exposer pour cette seule raison à une condamnation en dommages chaque fois que la Cour ne leur donne pas raison (sauf en cas d’abus de droit ou de mauvaise foi).

 

Résumons les faits qui ont donné ouverture à une telle condamnation dans cette affaire.

 

Tout d’abord, au moment de l’exécution des travaux et de la publication de l’hypothèque légale, l’entrepreneur ne détenait aucune licence d’entrepreneur émise en vertu de la Loi sur le bâtiment. Il s’agissait d’une compagnie ontarienne qui réalisait à l’occasion des travaux au Québec. L’obtention ultérieure de la licence requise ne peut avoir pour effet de bonifier rétroactivement le défaut de détenir la licence au moment opportun.

 

Ensuite, le montant de l’hypothèque légale reposait sur des sommes qui ne pouvaient être réclamées au client en vertu du contrat et incluait aussi le coût de travaux qui n’avaient même pas été exécutés, l’entrepreneur ayant abandonné le chantier en raison des nombreux conflits survenus avec le client. Le montant de l’hypothèque légale était donc si excessif que la Cour l’a jugé abusif.

 

Enfin, la Cour conclut que l’entrepreneur s’est obstiné à assurer la conservation de cette hypothèque clairement illégale, même après l’introduction des procédures en radiation, que l’entrepreneur a témérairement contestées. Cela signifie que le dossier a également pris une tournure d’abus de procédures (et non simplement une inscription sans droit d’une hypothèque légale), ce qui confirmait le pouvoir de réparation de la Cour puisque les condamnations à des dommages sont courantes dans ce domaine.

 

La Cour condamne l’entrepreneur à payer 10 000 $ pour abus de droit, même si elle ne conclut pas à la mauvaise foi de l’entrepreneur, puisqu’il n’a pas été prouvé que l’hypothèque légale a été inscrite dans le seul but de nuire au client ou dans le seul but de se venger des nombreux conflits qui sont survenus sur le chantier lors de l’exécution des travaux. Cette somme de 10 000 $ représente les frais d’avocat engagés par le client pour faire radier l’hypothèque légale.

 

Le montant des dommages accordés aurait même pu être plus élevé, par exemple si le client avait été empêché de revendre ou réhypothéquer sa propriété en raison de l’inscription de l’hypothèque légale.

 

En résumé, l’abus de droit ou la mauvaise foi constituent une condition essentielle pour qu’un entrepreneur soit condamné à des dommages pour l’inscription sans droit d’une hypothèque légale de la construction.

 

Dans l’affaire Triple AAA, la combinaison de plusieurs éléments, notamment l’illégalité claire et évidente de l’hypothèque légale, son montant excessif ainsi que la contestation abusive de la requête en radiation, ont suffi pour conclure à l’abus de droit.