Poursuite contre Hydro-Québec : comment choisir le bon district?

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11 février 2014 | Par Mathieu Turcotte

Il arrive fréquemment, dans les litiges impliquant des parties ayant leur domicile dans différents endroits au Québec, que des débats préliminaires importants se tiennent sur le district approprié pour instituer une poursuite. Si le sujet peut sembler accessoire, il a néanmoins des impacts importants sur le coût des procédures pour la partie qui doit poursuivre à plusieurs centaines de kilomètres de chez elle.

Le Code de procédure civile du Québec édicte sur le sujet un ensemble de règles servant de guide pour les parties et prévoit à titre de règle générale que le district naturel est celui où réside la partie poursuivie. Toutefois, le demandeur peut également choisir le district où l'ensemble des faits pertinents se sont produits, ou encore le district où a été conclu le contrat entre les parties, le cas échéant.

 

Au-delà de ces règles, il reste possible aux parties à un contrat de déterminer à l'avance le district compétent pour un litige éventuel - c'est ce qu'on appelle une clause d'élection de for. De telles clauses sont fréquentes dans les contrats de construction avec des organismes publics, et la Cour supérieure a eu à se pencher récemment, dans l'affaire Canmec Industriel inc. c. Hydro-Québec, sur le sort d'une clause de cet ordre dans un contrat impliquant la société d'État.

Un litige aux quatre coins du Québec

 

Les faits de cette affaire illustrent parfaitement la réalité moderne des chantiers de construction : Canmec, une entreprise de Chicoutimi, a conclu un contrat avec Hydro-Québec, dont le siège est à Montréal, pour des travaux livrables sur un chantier en Abitibi. Le contrat, conclu à Chicoutimi, comportait néanmoins la clause suivante : « Les parties conviennent que le contrat a été conclu à Montréal et est régi par les lois applicables au Québec et que tout litige découlant de son exécution est soumis à la juridiction exclusive des tribunaux du Québec. »

 

Fort de cette clause, Hydro demande le transfert de la poursuite instituée par Canmec de Chicoutimi à Montréal. Elle justifie le bien-fondé de sa clause en plaidant qu'elle doit gérer environ 25 procès de longue durée chaque année et que son personnel spécialisé dans le traitement de ces dossiers se trouve à son siège social.

 

Une clause abusive

La Cour analyse dans un premier temps la clause invoquée en la comparant à des clauses d'élection de for classiques, qui normalement déterminent à l'avance le district dans lequel une poursuite devra être intentée. À la différence de ces clauses, la stipulation formulée au contrat  d'Hydro-Québec se contente de déterminer le lieu de conclusion du contrat. Il ne s'agit pas, pour la Cour, d'une réelle clause d'élection de for.

 

Mais plus encore, et c'est là où ce jugement est intéressant pour des centaines d'entrepreneurs faisant affaire avec des ministères ou sociétés publiques, une telle clause, insérée dans un contrat qualifié de contrat d'adhésion, crée un déséquilibre et une disproportion intenable dans le rapport de force entre les parties.

 

Devant la preuve de l'insertion systématique d'une telle clause dans les contrats d'Hydro-Québec, la Cour se fend de commentaires assez durs pour la société d'État, qualifiant la situation de « choquante et abusive », voire « contraire à une saine administration de la justice ».

 

Cette affaire est une illustration intéressante de l'interventionnisme des tribunaux en présence d'un déséquilibre entre les parties, en particulier dans les litiges impliquant des sociétés publiques. Il est à prévoir qu'elle deviendra un précédent d'intérêt dans les dossiers impliquant les nombreux donneurs d'ouvrage ayant une présence sur l'ensemble du territoire du Québec mais imposant les districts centraux de Montréal ou de Québec pour l'institution d'une poursuite par des entrepreneurs locaux.