L’agriculture urbaine : Un avenir prometteur pour nos villes

8 janvier 2016
Mathieu Fleury, architecte, P.A. LEED C+CB*

Selon les récentes données démographiques mondiales, la population humaine augmente quotidiennement d’environ 244 000 individus. Près de 60 % de cette population vit en milieu urbain. Selon les démographes, cette proportion devrait atteindre 80 % d’ici 2050. 

Cet accroissement important de la population urbaine mondiale pose de sérieux défis à nos sociétés dont comment loger ce nombre grandissant d’individus et comment assurer l’apport alimentaire ? Si l’évolution vers une alimentation végétarienne généralisée constitue une piste de solution, l’enjeu demeure complexe. Alors que la population augmente, la superficie de terres arables tend à diminuer. Les causes de cette diminution sont multiples : étalement urbain, pollution, désertification, etc.

 

Il serait possible d’effectuer des opérations de déforestation afin d’accroître la superficie de terres cultivables mais cela est impensable dans le contexte actuel de lutte aux changements climatiques. Actuellement, de nombreuses populations, essentiellement asiatiques, sont pratiquement dépendantes de l’importation pour se nourrir. Alors que nos ressources agricoles traditionnelles diminuent, comment est-il possible de nourrir une population en forte croissance ?

 

La réponse est simple : mettons en place des exploitations agricoles en plein cœur des villes, sur des surfaces réduites, à haut niveau de productivité, le tout avec un très faible besoin en énergie, voire une autonomie complète. Utopie ? Rien n’est moins sûr.

 

Ce nouveau type d’exploitation agricole est en pleine expansion partout sur la planète. À Montréal, les fermes Lufa aménagent des serres sur les toits, un exemple particulièrement inspirant et bien intégré à la ville.

 

En Asie, de nouveaux types de bâtiments sont construits : les fermes verticales. Si la forme et l’échelle de ces nouvelles constructions changent, le concept demeure le même : produire des aliments directement là où les gens vivent et le faire de manière durable.

 

Selon l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO)  le développement de l’agriculture urbaine constitue l’un des éléments clés de la survie alimentaire, à l’échelle mondiale.

 

Avec les technologies actuelles, la culture hydroponique et l’éclairage DEL, les installations agricoles contemporaines permettent un rendement de cinq à six fois supérieur à l’agriculture conventionnelle. Au-delà de cette productivité accrue, ces exploitations agricoles en milieu contrôlé présentent des avantages nombreux et évidents :

 

  • Augmentation des superficies cultivables avec peu d’impacts sur l’environnement ;
  • Réduction du transport, fortement dépendant des énergies fossiles ;
  • Culture biologique en milieu contrôlé, élimination de l’utilisation de pesticides et d’insecticides chimiques ;
  • Culture hydroponique en boucle fermée, nécessitant 99 % moins d’eau que l’agriculture extérieure ;
  • Possibilité d’autonomie énergétique par la mise en place de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes sur les structures ;
  • Fruits et légumes frais, bio, locaux, de la ferme à l’assiette, sans intermédiaire.

 

Le grand avantage de l’agriculture urbaine est qu’elle se fait à l’intérieur, en milieu contrôlé, tout au long de l’année, et ce, indépendamment des conditions climatiques. De plus, l’aménagement de fermes urbaines permet de se désinvestir des fermes extérieures traditionnelles permettant ainsi le rétablissement d’écosystèmes naturels, favorisant un enrichissement de la biodiversité.


Des exemples à l'international

Le Japon, qui importe actuellement la plus grande partie de sa nourriture, est chef de file dans le développement des fermes urbaines en zones densément peuplées. Alors que l’agriculture est souvent associée aux petites entreprises familiales, au pays du soleil levant, ce sont les géants du high-tech qui investissent dans ce secteur : Fujitsu, Sharp, Toshiba, etc.

 

Ces grandes entreprises se tournent maintenant vers le secteur primaire. Cela n’est pas un hasard. Ces géants japonais ont tous connu un ralentissement dans leurs secteurs traditionnels, notamment par la compétition en provenance de la Chine. Ce retour à la terre, sans la terre, que constitue le développement de ces nouvelles fermes, implique de nombreuses technologies de pointe.

 

En effet, des technologies de culture hydroponique, de contrôle de l’environnement, et d’éclairage à haute efficacité sont nécessaires, ce qui place ce type d’entreprise en bonne position pour développer et mettre en œuvre des prototypes viables. Parmi les projets les plus ambitieux, notons le Toshiba Clean Room Farm, situé à Yokosuka, près de Tokyo. Le complexe de 2 000 mètres carrés produit notamment de la laitue, des épinards et du mizuna en culture hydroponique dans un environnement constant et stable.

 

Pour l’entreprise Toshiba, cette installation agricole d’avant-garde lui permet non seulement de répondre à un besoin de la population locale, mais également de développer une expertise qu’elle peut exporter. Noriaki Matsunaga, chef du projet chez Toshiba explique que l’entreprise a l’avantage de maîtriser toutes les technologies nécessaires pour la concrétisation de ce type de projet. Il est donc possible pour Toshiba d’offrir ensuite à ses clients tout ce qui est requis pour que ceux-ci puissent construire leurs propres jardins intérieurs.

 

Pour les architectes et constructeurs, l’agriculture urbaine est un enjeu nouveau, une réalité sociale sans précédent. Nous sommes à un moment charnière et l’environnement bâti se transforme. Si des fermes gratte-ciel apparaissent à Singapour et que les toits de Montréal deviennent des serres maraîchères, qu’adviendra-t-il de la production alimentaire en régions rurales ? Est-ce que les régions traditionnellement maraîchères deviendront dépendantes des grandes villes ? L’agriculture high-tech peut être faite à toutes les échelles. Si les plus grandes villes de la planète voient pousser les plus hautes fermes de l’histoire, il est possible d’imaginer que chaque maison gaspésienne verra  une nouvelle pièce apparaître : le jardin intérieur.

 

*L’auteur est architecte pour la firme Vachon & Roy à Gaspé 

mfleury@vachonroyarchitectes.com

 

Cet article est paru dans l’édition du jeudi 10 décembre 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !