Appel d’offres privé, plus de flexibilité ?

5 mai 2011
Christian J. Brossard de la firme Miller Thomson Pouliot

L’on sait qu’un propriétaire ou autre donneur d'ouvrage privé peut librement octroyer un contrat sans passer par un appel d’offres. La Cour du Québec l’a rappelé récemment dans 2852-6648 Québec inc. (Excavation LMR) c. 125269 Canada inc.. Cependant, comme le souligne également ce jugement, une fois que le donneur d'ouvrage choisit de procéder par appel d’offres, il devient lui-même assujetti aux règles qu’il s’est volontairement imposées dans ses documents d’appel d’offres.

 

Le contrat mis en cause dans cette affaire en était un de construction des infrastructures et équipements requis aux fins d’un projet de développement domiciliaire dans la municipalité d’Alma. Comme il se fait dans plusieurs municipalités au Québec, Ville d’Alma requiert des promoteurs comme la défenderesse, 125269 Canada, qu’ils financent et prennent en charge la construction des infrastructures et équipements, dont la municipalité devient ensuite propriétaire et assume l’entretien pour l’avenir.

 

Dans ce contexte, bien que Ville d’Alma soit celle qui prépare les plans et devis pour s'assurer que les nouvelles infrastructures s'intègrent à celles existantes, c’est le promoteur qui octroie les contrats pour la construction. Il s’agit donc là d’une adjudication par un donneur d'ouvrage privé et non public.

 

Ne s’agissant pas d’un octroi de contrat par un organisme public, le promoteur n’était pas assujetti à des exigences législatives et règlementaires. Ce sont les règles de droit commun qui s’appliquaient. Le promoteur avait donc « la discrétion de choisir son cocontractant ». Il avait de plus le choix des modes d’octroi du contrat : de gré à gré, c’est-à-dire par négociations ; par demande de soumissions sur invitation ; ou par appel d’offres.

 

En l’espèce, la défenderesse a choisi de procéder par appel d’offres. Cet appel d’offres étant donc lancé par un promoteur privé et non par la municipalité, il revenait au donneur d'ouvrage d’établir les règles de son appel d’offres dans les documents émis pour soumission.

 

Par exemple, la défenderesse était parfaitement libre d’inclure une clause par laquelle elle se réservait le droit de ne pas octroyer le contrat au soumissionnaire ayant la plus basse soumission conforme. Avec une telle clause de réserve, « il aurait été loisible au propriétaire de ne pas accorder le contrat au plus bas soumissionnaire » et cette clause « aurait pu permettre une vision plus nuancée des coûts qui ne s'arrête pas au prix établi dans les soumissions ».

 

En l’espèce, les deux soumissions conformes les plus basses présentaient une différence de 152,66 $. Le promoteur ne connaissait pas l’entreprise qui avait déposé la soumission la plus basse, soit la demanderesse, Excavation LMR. Par contre, il connaissait la compétence et la réputation du deuxième soumissionnaire, Entreprises Rosario Martel, qui au surplus était de la région d’Alma.

Par ailleurs, après le dépôt des soumissions et avant l’octroi du contrat, le promoteur a été appelé à parler avec Excavation LMR, laquelle était catégorique à l’effet que, ayant déposé la soumission conforme la plus basse, elle avait droit au contrat. Son approche semble avoir été déterminante dans la décision du promoteur, qui n’a pas apprécié de faire l’objet de menaces de poursuites.

Le promoteur a donc donné le contrat au deuxième plus bas soumissionnaire, Entreprises Rosario Martel. D’où la poursuite intentée contre le promoteur par Excavation LMR, qui lui réclamait sa perte de profits anticipés sur le contrat.

 

Nous avons vu que le promoteur, donneur d'ouvrage privé, avait le choix du mode d’adjudication du contrat et qu’il avait la liberté des modalités à insérer dans les documents d’appel d’offres, incluant la possibilité d’octroyer le contrat à un soumissionnaire autre que celui ayant déposé la soumission la plus basse.

 

Ainsi, en l'absence d’une mention obligatoire de retenir le plus bas soumissionnaire conforme, le promoteur aurait pu tenir compte, dans son choix, par exemple de sa tranquillité d'esprit face à la compétence des soumissionnaires, de leur réputation et de la qualité anticipée des travaux.

 

Cela étant dit, cependant, le juge souligne que le donneur d'ouvrage, à partir du moment où il choisit de procéder par appel d’offres, « doit respecter les règles qu'il s'est lui-même imposées et en conséquence, il doit agir de façon à préserver l'égalité des soumissionnaires » : « Ce principe d'égalité des soumissionnaires doit primer. Il est de l'essence même que la procédure d'appel d'offres impose au propriétaire l'obligation de traiter tous les soumissionnaires équitablement. Cela étant, le propriétaire ne peut avantager un soumissionnaire au détriment des autres ou défavoriser un ou l'autre. »

 

Rappelons à cet égard que, dans la mesure où le donneur d'ouvrage privé procède par un appel d’offres que l’on pourrait qualifier d’usuel, il sera lié par le même contrat dit « contrat A » que les organismes publics.Tant le donneur d'ouvrage que chacun des soumissionnaires sont dès lors assujettis aux règles, conditions et réserves énoncées dans les documents d’appel d’offres. Or, en l’espèce, la clause de réserve, contradictoire en soi, se lisait comme suit :

« Le propriétaire ne s'engage à accepter ni la plus basse ni aucune autre des soumissions. L'entrepreneur retenu est celui qui a déposé la plus basse soumission conforme. En cas d'égalité, le contrat est adjugé par tirage au sort en présence de deux représentants  du propriétaire et les représentants des entrepreneurs ex æquo. »

 

Ainsi, tout en n’engageant pas le donneur d'ouvrage à accepter la plus basse soumission, cette clause, mal rédigée, faisait en sorte que le promoteur s’obligeait au contraire à retenir la soumission de celui ayant déposé la plus basse soumission conforme. Cela, nous dit le juge, était « tellement l'essence du texte que le tirage au sort est prévu en cas d'égalité ».

 

Par conséquent, « peu importe la différence entre les soumissions, [le promoteur] se devait d'octroyer le contrat à la demanderesse ». Le donneur d'ouvrage privé a donc bel et bien le choix du mode d’octroi du contrat. S’il choisit de procéder par appel d’offres, il a la liberté des modalités et conditions qu’il prévoit dans les documents d’appel d’offres. Si cependant il s’y impose des obligations ou s’engage, par exemple, à octroyer le contrat au soumissionnaire ayant déposé la soumission la plus basse, il se doit de respecter les règles qu’il a lui-même dictées et les obligations qu’il s’est lui-même imposées.

 

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Miller Thompson Pouliot