Appels d’offres municipaux – Les clauses d’admissibilité : illégales, dit la Cour supérieure

7 février 2012
Par Me Mathieu Turcotte

Les municipalités, tout comme les autres donneurs d’ouvrage publics et parapublics, sont régies par des règles strictes entourant les appels d’offres. On trouve notamment parmi ces règles l’obligation de procéder par appel d’offres public au-delà d’un certain seuil monétaire, de même que l’obligation d’octroyer le contrat au plus bas soumissionnaire conforme.

 

Depuis 1997, les lois municipales permettent une certaine latitude en ce qui a trait à la notion de plus bas soumissionnaire, en permettant aux donneurs d’ouvrage d’analyser les soumissions reçues non seulement sur la base des prix, mais également sur d’autres critères tels que l’expérience ou les qualifications des entrepreneurs ou leur capacité financière, par exemple. Cette méthode, appelée système de pondération, constitue un outil permettant aux donneurs d’ouvrage de faire jouer la concurrence tout en mettant dans la balance des critères plus qualitatifs ayant trait à la compétence et la solidité des soumissionnaires.

 

En dehors des systèmes de pondération, quelles sont les options des municipalités pour écarter les soumissionnaires indésirables, incompétents ou dont le rendement a été jugé insatisfaisant dans le passé ? Les clauses d’admissibilité prévues à même les documents d’appel d’offres donnent-elles ce droit aux municipalités ? Ce sont les questions qu’avait à trancher la Cour supérieure dans l’affaire Entreprise P.S. Roy c. Ville de Magog, rendue par le juge Gaétan Dumas à l’automne dernier.

 

Une clause reniée par la Ville

La Ville de Magog ouvre, à l’été 2011, un appel d’offres pour le déneigement de divers secteurs de la municipalité pour l’année 2011-2012. Le document prévoit une clause d’admissibilité ayant pour but d’écarter les soumissionnaires au rendement jugé insatisfaisant par le passé, et ce, par toute autre municipalité :

 

« Pour être admissible à l’adjudication du contrat, un soumissionnaire […] ne doit pas avoir, dans les cinq dernières années, fait l’objet d’une résiliation de contrat par une municipalité pour cause de non-respect des obligations prévues par le contrat. »

 

À la séance du 19 septembre, Magog octroie le contrat à 9181-1752 Québec inc. pour trois secteurs. Or, selon les termes de son appel d’offres, la Ville aurait dû déclarer cet entrepreneur inadmissible, puisqu’il avait fait l’objet d’une résiliation de contrat par une municipalité voisine à peine deux mois avant le dépôt des soumissions, ce dont Magog avait été informée au moment d’octroyer le contrat.

 

Magog accorde néanmoins le contrat à 9181-1752 Québec, plus bas soumissionnaire, et se justifie en mentionnant que sa propre clause d’inadmissibilité était illégale et ne pouvait donc lier la municipalité, puisqu’elle ne reposait sur aucun pouvoir habilitant. Entreprise P.S. Roy intente immédiatement un recours en injonction pour bloquer l’octroi du contrat, et prétend que celui-ci doit plutôt lui être décerné.

 

Un carcan sévère

Le juge rappelle que la Loi sur les cités et villes, qui régit les droits et obligations des villes comme Magog, prévoit de façon stricte qu’un contrat doit être octroyé au plus bas soumissionnaire, à moins d’une autorisation du ministre ou, comme nous l’avons vu plus haut, d’un système de pondération. La clause introduite par Magog dans son appel d’offres a pour effet, selon le juge, de contourner ce principe en introduisant un critère non prévu par la loi :

 

« La loi est claire, bien que le plus bas soumissionnaire soit le pire incompétent, la municipalité devra lui accorder le contrat s’il est le plus bas soumissionnaire conforme, à moins d’avoir l’autorisation du ministre.

« La clause 2.12, ayant comme conséquence d’exclure un soumissionnaire sur une autre base que les prix, va donc à l’encontre de l’article 573 LCV et en conséquence, contre l’ordre public. »

 

Si un tel jugement peu paraître sévère, la Cour rappelle cependant que cette règle ne remet pas en question l’existence d’exigences relatives à la bonne exécution du contrat, par opposition à des conditions portant sur la qualité des soumissionnaires. On pense par exemple aux preuves de garanties financières, d’assurance et de cautionnement, de détention d’équipement ou encore de disponibilité de main-d’œuvre.

 

La Cour convient que l’application stricte de la règle du plus bas soumissionnaire, peu importe ses compétences, n’est pas toujours très rassurante pour les donneurs d’ordres municipaux, mais rappelle que ceux-ci ont d’une part l’opportunité d’introduire des critères qualitatifs par le biais de systèmes de pondération, ou encore de demander une exemption au ministre des Affaires municipales si le résultat d’un appel d’offres s’avère insatisfaisant.

 

À cet égard, la Cour indique qu’il est légal pour une municipalité d’exiger que les soumissionnaires l’informent obligatoirement de tout cas de résiliation de contrat à même leurs soumissions, puisque cette information pourrait éventuellement servir pour demander l’intervention du ministre. 

 

Rappelons en terminant que l’effet de ce jugement – qui a été porté en appel – est limité à la branche municipale de l’administration publique. En effet, les ministères et autres organismes provinciaux visés par la Loi sur les contrats des organismes publics ont quant à eux la possibilité de prévoir des clauses d’admissibilité dans leurs documents d’appel d’offres, dans les limites des règlements d’application de cette loi.

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Mathieu Turcotte par courriel ou au 514 875-5210.


Miller Thomson

 

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 2 février 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !