L’architecture passive pour contrer le changement climatique

20 décembre 2016
Par Marie Gagnon

Limiter la consommation d’énergie des bâtiments en réduisant les pertes énergétiques, voilà la visée de Passivhaus, une norme allemande qui fait tranquillement son nid au Québec.

À l’heure où le réchauffement climatique pèse comme jamais sur la planète et ses habitants, la conception de bâtiments à très faible consommation énergétique s’impose comme une démarche cohérente pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère et, de là, ralentir la hausse des températures à la surface du globe. D’autant plus que le secteur du bâtiment serait responsable, à lui seul, de 30 % des GES émis à l’échelle mondiale.

 

C’est justement dans cette optique qu’est apparue la norme Passivhaus, un standard de conception visant à limiter les besoins de chauffage et de climatisation des bâtiments, et ainsi, réduire leur dépendance aux énergies fossiles. Développé en Allemagne au début des années 1990 et chapeauté depuis 1996 par le Passivhaus Institut(PHI), ce standard mise sur des principes passifs comme l’orientation, l’isolation, l’étanchéité et l’inertie thermique, pour diminuer de 80 % la dépense énergétique des bâtiments en offrant à leurs occupants un confort supérieur et une qualité élevée de l’air intérieur.

 

Lucie Langlois, architecte, PA LEED, Concepteur certifié « Passivhaus », fondatrice et présidente de Maison passive Québec, propriétaire de Alias architecture inc - Photo de François Brodeur

 

« Avec Passivhaus, le bâtiment est vu comme un système où des stratégies passives intégrées interagissent avec des systèmes actifs, c’est-à-dire les équipements mécaniques », commente Lucie Langlois, la présidente de Maison passive Québec, un organisme voué à la promotion du label dans la Belle Province. « Cela permet aux architectes de prendre conscience de l’impact du design sur la performance énergétique globale des bâtiments, une responsabilité habituellement réservée aux ingénieurs. »

 

Des cibles ambitieuses

Lucie Langlois précise que la certification est accordée aux bâtiments dont les besoins en chauffage et en climatisation sont inférieurs à 15 kilowatts/heure par mètre carré par année (kWh/m2/an) et dont la consommation primaire, soit l’énergie nécessaire à l’éclairage, au chauffage, à la climatisation, au chauffage de l’eau et à l’alimentation des appareils, n’excède pas 120 kWh/m2/an. Les bâtiments certifiés doivent en outre afficher un taux de changement d’air à l’heure (CAH) d’au plus 0,6 à 50 pascals (Pa) et limiter les écarts de température à 4 degrés Celsius au maximum.

 

Pour atteindre ces valeurs, les chercheurs du PHI ont mis au point un logiciel de simulation énergétique, le PHPP (Passivhaus Planning Package). Grâce à cet outil, les concepteurs peuvent prédire les besoins en chauffage et en climatisation d’un bâtiment en fonction de divers paramètres, dont l’orientation, l’isolation, la fenestration, l’étanchéité, les électroménagers, ou le nombre d’occupants. Le tout, selon une approche par objectifs privilégiant l’innovation quant aux moyens à mettre en oeuvre.

 

Un outil performant

« Le PHPP, c’est tout simplement un chiffrier Excel qui permet d’évaluer divers scénarios, souligne Lucie Langlois, qui est également la fondatrice d’Alias Architecture, une agence qui a fait de la maison écologique sa marque de commerce. On peut par exemple faire des itérations entre les fenêtres et leur positionnement, leur dimension, leur orientation et leur qualité, des facteurs susceptibles d’influencer le design. Entre autres au sud, où les gains solaires devront éventuellement être compensés par des avancées de toiture ou des brise-soleil. »

 

Il faut comprendre que les cibles de consommation de Passivhaus sont d’autant plus faciles à atteindre que le bâtiment est vaste, signale l’architecte. « C’est une question de rapport géométrique entre les surfaces extérieures et le volume (S/V), explique-t-elle. Plus le bâtiment est petit, plus l’indice S/V est élevé, donc les échanges entre l’intérieur et l’extérieur seront favorisés. À l’inverse, plus le bâtiment est grand, plus l’indice S/V sera faible. Les valeurs cibles seront donc atteintes plus rapidement. »

 

De nouvelles catégories

Pour favoriser le recours aux énergies renouvelables, le PHI a récemment ajouté deux nouveaux niveaux de certification. En plus du Bâtiment passif classique, les concepteurs qui souhaitent aller plus loin disposent maintenant des labels Plus (bâtiment à énergie positive) et Premium (bâtiment producteur d’énergie). Ces labels permettent de comptabiliser les gains énergétiques provenant de sources primaires renouvelables, comme une éolienne ou des panneaux photovoltaïques. Ces nouveaux standards, ainsi que la nouvelle méthode de calcul d’énergie primaire, sont inclus dans la dernière version du PHPP.

 

« Il existe depuis peu une version de Passivhaus pour les bâtiments existants, EnerPHit, qui permet de moduler la performance énergétique en fonction de la zone climatique, note Lucie Langlois. Le principe est le même, mais la cible de demande en chauffage et climatisation est rehaussée à 25 kWh/m2/an et peut aller jusqu’à 30 ou 35 kWh/m2an selon les régions. Pour l’étanchéité à l’air, on parle de 1 CAH. C’est beaucoup moins exigeant. »

 

Les défis

Si Lucie Langlois salue les dernières avancées du Passivhaus Institut, elle reconnaît du même souffle les difficultés liées à leur mise en oeuvre sous nos latitudes. « Ici, cela demande plus d’efforts, notamment pour éviter la surchauffe, car on reçoit plus de soleil qu’en Europe, illustret- elle. Mais la tâche n’est pas impossible et le potentiel d’économie d’énergie est immense. D’ailleurs, à Vancouver, il y a quelques certifications, dont la Maison de l’Autriche et la Rainbow House.

 

« Il faut dire que la Colombie-Britannique a des objectifs ambitieux et qu’elle se donne les moyens de ses ambitions, entre autres en investissant dans la formation, poursuit-elle. Ici, on a un peu de retard, mais c’est surtout à cause de la barrière linguistique, tous les documents sont en anglais. On compte quand même quelques rénovations majeures EnerPHit, dont Ozalée et Ozora à Montréal, mais encore aucune certification. »

 

LE CREDO PASSIVHAUS
  • Résistance thermique supérieure de l’enveloppe
  • Suppression des ponts thermiques
  • Étanchéité à l’air élevée
  • Ventilation avec récupération de chaleur
  • Optimisation des gains solaires

 

L’EXEMPLE SALUS CLEMENTINE

À Ottawa, le complexe Salus Clementine, dont la construction s’est achevée en octobre, commence déjà à faire école. Il faut dire que l’immeuble de 42 logements sociaux, dont le coût s’élève à 7,5 millions de dollars, répond à la fois aux exigences de la norme Passivhaus et à celles de la certification LEED pour les habitations, niveau Platine. Un tour de force que les concepteurs de CSV Architects, Sonia Zouari en tête, ont réalisé en mettant en oeuvre les meilleures pratiques en matière de design.

Cette observation est particulièrement frappante sur le plan de l’isolation. Parmi les options qui s’offraient à eux, les professionnels de CSV ont arrêté leur choix sur des panneaux structuraux isolants fixés au cadre du bâtiment. Cette redondance structurelle a permis de créer, à l’intérieur des murs, des cavités qui ont servi à l’ajout du matériau isolant nécessaire à l’atteinte des objectifs énergétiques. Ils se sont également appliqués à isoler tous les ponts thermiques occasionnés par la structure d’acier léger. Tant et si bien que l’édifice de quatre étages n’utilisera pas plus d’énergie pour le chauffage qu’une habitation individuelle standard.