AU TRIBUNAL : Contracter avec une municipalité : éviter les écueils

16 décembre 2016
Par Me Jasmin Lefebvre, LL.M.

En droit civil québécois, le contrat est sujet à un cadre très souple. Le contrat, c’est un accord de volonté entre des parties capables de contracter. Nul besoin qu’il soit écrit. Le contrat est la Loi des parties, dans la mesure où l’on peut en prouver l’existence.

De la même manière, les règles générales du droit civil sont peu contraignantes à l’égard de la possibilité pour une partie d’être représentée aux fins de la conclusion d’un contrat. En effet, la partie elle-même, son mandataire ou représentant autorisé et même son mandataire apparent peuvent conclure un contrat qui lie une partie.

 

En revanche, les contrats des municipalités dérogent considérablement du droit commun, tant à l’égard des conditions liées à leur validité qu’en ce qui a trait aux exigences relatives à la représentation de la municipalité pour les fins du contrat à conclure. Ces règles sont d’ordre public, de sorte que l’on ne peut y déroger par entente.

 

Ceux qui contractent avec les municipalités ont tout intérêt à avoir au moins une notion minimale de ce cadre juridique particulier puisqu’il est de nature à impacter leurs droits de façon importante. Ce cadre juridique déroge au droit général, aux usages du commerce et parfois même au sens commun.

 

Les règles à suivre

La première règle à mentionner à l’égard des conditions de validité des contrats a trait aux procédures obligatoires d’appel d’offres. La Loi sur les cités et villes prescrit en effet que seuls les contrats dont la valeur est inférieure à 25 000 $ peuvent être conclus de gré à gré. Entre 25 000 $ et 100 000 $, la ville doit obligatoirement inviter au minimum deux adjudicataires potentiels à soumettre leur prix avant de contracter. Finalement, au-dessus de 100 000 $, les cités et villes sont assujettis à une procédure d’appel d’offres public obligatoire.

 

À défaut de respecter ces règles, le contrat accordé est en principe nul et l’adjudicataire n’aurait pas droit au paiement du prix, même si les travaux ont été valablement réalisés.

 

Le deuxième règle d’exception à l’égard de la validité des contrats municipaux est liée aux modalités obligatoires qui s’imposent pour la représentation de la municipalité aux fins du contrat à conclure. En règle générale, seul le conseil de ville a l’autorité, par la voie de l’adoption d’une résolution formelle, pour engager la ville par contrat. En droit municipal, la règle du mandat apparent n’existe pas. Cela implique que même le maire n’a pas l’autorité pour lier la ville par contrat, et ce, même s’il commande des travaux utiles, même si ces travaux sont bien réalisés, etc. 

 

Un contrat municipal conclu autrement que par résolution du conseil de ville a de fortes chances d’être déclaré nul et cette nullité empêchera l’entrepreneur d’être payé pour les travaux réalisés.

Mentionnons qu’une exception peut exister au monopole du conseil en matière d’octroi des contrats. En effet, en vertu d’un règlement de délégation du pouvoir de contracter adopté par le conseil de ville, le pouvoir de conclure des contrats peut être délégué à certains fonctionnaires municipaux. Il faut toutefois s’empresser de dire qu’un tel règlement ne vise généralement que la conclusion que de tous petits contrats.

 

Finalement, la troisième grande règle d’exception à l’égard de la validité des contrats municipaux est en rapport avec le cadre budgétaire des contrats.

 

À ce titre, il faut d’abord dire qu’un contrat de ville, même accordé par le conseil, n’est pas valide si le cadre budgétaire de la municipalité ne comporte pas les attributions pour assurer le paiement du prix, sur la base de ressources propres, de règlement d’emprunt, d’une subvention, etc.

 

Ensuite, il faut savoir que le prix d’un contrat municipal est limité strictement par le montant attribué dans la résolution d’octroi adoptée par le conseil. En principe, seul le conseil, par le biais d’une autre résolution, a le pouvoir de majorer le prix d’un contrat pour le porter au-delà du montant de l’octroi d’origine. À défaut d’un telle résolution supplémentaire, la commande pour des travaux additionnels est nulle, et cela risque fort d’aboutir à une situation où le prix de ces travaux ne sera pas acquitté.

 

À la lumière de ce qui précède, une grande vigilance s’impose donc aux cocontractants des villes afin d’éviter de se faire piéger par les conséquences du non-respect de règles administratives impératives qui conditionnent la validité des contrats municipaux. Cette vigilance est d’autant plus cruciale que les tribunaux reconnaissent que la charge de s’assurer que le contrat qu’il détient est valide repose sur le cocontractant de la ville.

 

Les exceptions

Heureusement, certaines exceptions existent qui, en certaines circonstances, permettent aux entrepreneurs de passer outre à des carences du processus contractuel municipal ou de ne pas avoir à en subir les effets. Nous en mentionnerons quelques-unes en rafale.

 

Premièrement, soulignons que l’article 11 de la Loi sur les cités et villes est une disposition qui empêche la municipalité d’invoquer un défaut du processus menant à la conclusion du contrat quand le défaut n’est pas de nature à entraîner la nullité de l’acte.

 

Deuxièmement, lorsque l’entrepreneur peut démontrer que des travaux supplémentaires qu’on lui a commandés sont « connexes » à un contrat de base et qu’il y a absence de mauvaise foi, les tribunaux seront enclins à passer outre à l’absence d’une résolution menant à la majoration de l’enveloppe budgétaire du contrat ainsi qu’au défaut de tenir un appel d’offres pour l’octroi des travaux supplémentaires. Attention toutefois : la notion de connexité est interprétée restrictivement. Le travail « connexe » doit être une suite immédiate et directe de la portée des travaux du contrat de base.

 

Troisièmement, les enjeux de limitation du droit de l’entrepreneur d’être payé, en raison du montant du contrat visé par une résolution du conseil, ne s’appliquent pas aux fins de limiter la responsabilité civile contractuelle de la municipalité découlant d’une faute commise par elle qui entraîne des dommages pour l’entrepreneur. À ce titre, on peut penser aux conséquences d’un manquement de la ville à son devoir d’information dans le cadre de l’appel d’offres. Bien évidemment, il ne faut pas s’attendre à ce que la résolution du conseil octroyant le contrat envisage une telle responsabilité éventuelle. Ainsi, la ville peut être tenue responsable pour les dommages qu’elle cause par sa faute et cette responsabilité existe de manière indépendante du cadre budgétaire applicable au contrat pertinent.

 

Quatrièmement, il est possible pour le conseil de ratifier a posteriori une commande pour des travaux supplémentaires pour l’exécution de travaux. Cela étant, ce pouvoir de ratification n’existe bien sûr que pour des travaux « connexes » lorsque la commande supplémentaire était assujettie à un processus d’appel d’offres qui a été omis.

 

En dernier lieu, il est pertinent de faire mention que dans certaines circonstances exceptionnelles, la ville pourra être condamnée à compenser un entrepreneur pour les conséquences de la faute d’un de ses fonctionnaires dont les faits et gestes ont induit l’entrepreneur en erreur et l’ont amené à réaliser des travaux en établissant faussement chez lui la conviction qu’il serait payé pour des travaux commandés sans que le cadre administratif ait été respecté.

 

Tel que l’illustre certains des cinq cas d’exception susmentionnés, fort heureusement, les tribunaux réagissent parfois aux conséquences draconiennes du non-respect de règles de validité des contrats municipaux. L’intervention du tribunal vient ainsi parfois sauver la mise de l’entrepreneur qui se trouve aux prises avec un refus de paiement découlant d’une contravention à un processus administratif s’imposant à son cocontractant.

 

Cette planche de salut que constitue l’intervention d’un tribunal est toutefois une bien mince consolation pour les justiciables faisant face à un refus de paiement formulé par une ville. En effet, il est choquant d’avoir à se pourvoir en justice avec les risques et les coûts que cela comporte dans le simple espoir d’obtenir paiement pour le prix d’un travail bien fait qui profitera à la municipalité.

 

C’est pour cela que nous disons que le cadre administratif des contrats municipaux est une créature juridique menaçante qui heurte souvent de front l’idée que chacun se fait de ce qui devrait être la Justice. En cette matière, la prudence est de rigueur.

 

 

Pour question ou commentaire, vous pouvez joindre Me Jasmin Lefebvre, LL.M. Associé, Miller Thomson par courriel à jlefebvre@millerthomson.com


Miller Thomson avocats

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Cet article est paru dans l’édition du jeudi 8 décembre 2016 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous