[Au tribunal] Le devoir du donneur d’ouvrage d’informer sur les risques d’un produit

26 mars 2019
Par Maitre Gerry Argento, sociétaire

Dans l’affaire Construction Injection EDM inc. c. Procureure générale du Québec (Ministère des Transports du Québec) QCCQ 7060, le tribunal rappelle que le donneur d’ouvrage se doit de fournir toute l’information déterminante relative aux travaux envisagés afin que les entrepreneurs soient en mesure d’évaluer correctement l’ampleur des risques de leur engagement.

Cette affaire porte sur un contrat octroyé par le ministère des Transports du Québec (« MTQ »), visant la réfection d’un pont qui traverse la rivière des Envies, dans la municipalité de Saint-Stanislas, en Mauricie. L’entrepreneur général, Construction Injection EDM (« EDM »), confia les travaux de revêtement du pavage du tablier du pont à l’entrepreneur Construction DJL (« DJL »). Selon les documents contractuels, et plus particulièrement un « Devis spécial » émis par le MTQ, ces travaux devaient être exécutés au moyen d’un procédé décrit comme un « enrobé à froid ».

 

Après l’exécution des travaux réalisés à l’automne 2013, le MTQ signe, le 23 janvier 2014, une « Évaluation de rendement » finale relative à ceux-ci, et donne la mention « satisfaisante » sous la rubrique relative à la qualité des services rendus. Cependant, au printemps suivant, le MTQ déplore l’état dans lequel se trouve la chaussée sur le pont. On observe que le revêtement lève par plaques un peu partout sur la surface. Cette situation est attribuée à des opérations de déneigement agressives effectuées pendant l’hiver. Les travaux reprennent alors à l’automne 2014, mais ne procurent pas le résultat escompté. Insatisfait des travaux, le MTQ applique une retenue spéciale au motif qu’ils ne sont pas conformes aux exigences des plans et devis.

 

À la suite de discussions entre les parties, l’entrepreneur intente un recours contre le MTQ et allègue, entre autres, que l’enrobé à froid a été exigé par le donneur d’ouvrage alors que ce produit ne permettait pas d’offrir un rendement satisfaisant, et que le MTQ le savait. Selon EDM, le fait de le contraindre à employer un matériau prédéterminé, alors que le MTQ savait que son usage demeurait problématique, contribue à vicier le consentement de l’entrepreneur.

 

Quant au MTQ, il plaide que DJL a l’expertise voulue et s’y connaît dans l’utilisation de l’enrobé à froid. Les résultats sont insatisfaisants et EDM, en sa qualité d’entrepreneur général, doit en répondre.

 

Selon la preuve, le tribunal constate que le MTQ exigeait, spécifiquement par Devis spécial, un enrobé à froid dont il précisait à la fois la composition et la méthode de pose. Il constate également que ce matériau était relativement nouveau et peu usuel.

 

Le tribunal retient que le MTQ a récemment eu une expérience similaire avec ce même produit, dans l’affaire référence à l’arrêt Procureure générale du Québec c. Talon Sebeq inc[1]. Dans cette autre affaire, il a été décidé que le MTQ avait manqué à son devoir d’information, car il disposait d’informations indiquant un grand risque d’arrachement pour ce type d’enrobé, mais celles-ci n’avaient pas été communiquées à l’entrepreneur.

 

« Le choix de ne pas dévoiler ces risques aux soumissionnaires n’est pas sans conséquence. En outre, le MTQ aurait pu choisir de transférer ces risques à l’entrepreneur. Dans un tel cas, il aurait été nécessaire de dévoiler les risques appréhendés aux soumissionnaires, ce qui n’a pas été fait. »[2]

 

Dans la présente affaire, le MTQ a invoqué une clause de garantie selon laquelle EDM devait garantir le bon comportement des surfaces pour une période de 24 mois. La Cour estime que même si une telle clause suffit à transférer les risques à l’entrepreneur, elle ne dispense pas le donneur d’ouvrage de l’obligation de « dévoiler les risques appréhendés aux soumissionnaires ». Or, les documents émis par le MTQ étaient muets à ce sujet.

 

Le tribunal indique que, fort de son expérience difficile vécue avec ce produit, le MTQ ne pouvait contraindre l’entrepreneur à l’utiliser, ni même à le garantir, sans le mettre en garde contre les risques inhérents à son utilisation.

 

Le tribunal conclut que dans les circonstances, le MTQ a manqué à son devoir d’information et a donné droit au recours de l’entrepreneur.

 

1 Procureure générale du Québec c. Talon Sebeq inc., 2017 QCCA 363, [Talon Sebeq] 2 Ibid., para 23.


Pour toutes questions ou commentaires, vous pouvez joindre MeGerry Argento par courriel augargento@millerthomson.com ou par téléphone au 514.905.4227.

 

Miller Thomson avocats


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Cet article est paru dans l’édition du 12 mars 2019 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.