Au tribunal : les limites de l’obligation de prendre fait et cause d’autrui

30 mai 2011
Me Antonio Iacovelli de la firme Miller Thompson Pouliot

La majorité des contrats conclus dans des contextes d’appel d’offres se qualifient comme étant des contrats d’adhésion. Le fait qu’un contrat soit qualifié de contrat « d’adhésion » emporte diverses conséquences, dont celle de permettre une interprétation en faveur de l’adhérent et celle de donner ouverture à l’annulation des clauses abusives qu’il contient. À titre d’exemple, pourra être considérée abusive, la clause insérée dans un contrat de service conclu à l’issue d’un appel d’offres, qui prévoit que l’adhérent (entrepreneur) doive prendre fait et cause et tenir son cocontractant (donneur d’ouvrage) indemne de tous dommages causés à des tiers même si l’événement qui est à l’origine des dommages est attribuable à une faute du donneur d’ouvrage lui‑même et ne relève pas de l’exécution du contrat en soi. La portée d’une telle clause, en cas d’ambiguïté, sera interprétée en faveur de l’adhérent et contre le cocontractant qui l’a stipulée.

 

Voilà les principes que la Cour d’appel vient de confirmer dans un arrêt du 8 mars 2011 dans l’affaire Ville de Montréal c. CMS Entrepreneurs généraux inc. 

 

Les faits

 

Le 6 février 2004, lorsqu'elle exécute un contrat de déneigement avec la Ville de Montréal (la « Ville »), C.M.S. Entrepreneurs généraux inc. (« CMS »), par l'entremise de l'un de ses préposés, arrache une borne-fontaine ensevelie sous la neige. Les deux immeubles limitrophes sont inondés d'eau et subissent d'importants dommages, de même que les biens des entreprises qui y logeaient. La valeur totale des dommages subis est de l'ordre d'environ 195 000 $.

 

Une série de poursuites à l'encontre de la Ville et de CMS en résultent, lesquelles sont entamées par les compagnies d'assurance appelées à indemniser leurs assurés sinistrés.

 

La Ville appelle en garantie CMS ainsi que l'assureur de cette dernière en invoquant, à l'encontre de CMS, l'article 16 portant sur la « Responsabilité » de la section générale du cahier des charges qui se lit comme suit : 

 

L'entrepreneur est seul responsable des dommages envers la Ville et les tiers et doit tenir la Ville indemne de toute réclamation de quelque nature que ce soit et il doit prendre fait et cause pour la Ville dans toute procédure de la part de tiers découlant de l'exécution ou à l'occasion du présent contrat, et tenir la Ville indemne de tout jugement rendu contre elle, en capital, intérêts, frais et autres accessoires s'y rattachant.

 

À l'encontre de l'assureur de CMS, la Ville invoque un avenant qu'elle avait requis au contrat d'assurance entre CMS et son assureur. L’avenant en question stipule que les assurances de CMS relativement à sa responsabilité civile jouent également en faveur de la Ville dans le cadre du contrat de déneigement entre CMS et la Ville.

 

Étant admis que seules la Ville et CMS peuvent être tenues responsables du sinistre, la seule question que la Cour supérieure peut être portée à trancher est à qui incombait la responsabilité du sinistre et, le cas échéant, si la responsabilité est partagée, dans quelle proportion doit-elle l'être ? 

 

La décision de la Cour

 

Après analyse de la preuve produite au dossier et entendue au procès, la Cour supérieure est d'avis que les bornes-fontaines, qui sont ensevelies dans la neige lors de tempêtes de plus de 15 centimètres de neige, constituent un danger ou même un piège pour les entrepreneurs engagés par la Ville pour déneiger les rues et les trottoirs.

 

Selon ce qu'elle a entendu, la Cour arrive à la conclusion que la Ville est au courant de cette situation dangereuse depuis plusieurs années et qu'elle refuse d'installer un tuteur à chaque borne-fontaine près d'une chaîne de trottoir, préférant intervenir uniquement en cas de bris.

 

Selon la Cour, ce n’est pas l’exécution du contrat mais plutôt le refus par la Ville de munir de tuteurs toutes les bornes-fontaines près de chaînes de trottoir qui est la cause directe du bris survenu le 4 février 2004.

 

Ayant établi que la responsabilité du bris incombe à la Ville et que cette faute ne découle pas de l’exécution du contrat de déneigement en soi, le Tribunal dispose des actions en garantie respectives de la Ville contre CMS et contre l’assureur de cette dernière en les rejetant. La Ville perd donc sur toute la ligne et porte le jugement en appel.

 

Confrontée au moyen d’appel de la Ville quant à la responsabilité proprement dite, la Cour d’appel nous rappelle qu’il s’agit là d’une question de fait et que la Ville ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante en tirant sa conclusion de fait quant à la responsabilité de la Ville proprement dite.

 

Par ailleurs, en ce qui concerne les actions en garantie respectives de la Ville basée sur l'article 16 du contrat de déneigement contre CMS et sur l'avenant au contrat d'assurance contre l'assureur de CMS, la Cour d’appel endosse le raisonnement de la Cour supérieure en les rejetant.

 

Quant à l’article 16, le Tribunal considère qu’il est abusif puisque le contrat entre la Ville et CMS est un contrat d’adhésion contrairement à un contrat négocié de gré à gré. Les termes ont été imposés par l’une des parties, en l’espèce la Ville, et contractés par l’autre, en l’occurrence CMS. La Ville plaide que cette disposition est standard, connue et régulièrement insérée dans de nombreux contrats municipaux.

 

La Cour ne mord pas, et elle considère que la portée de cette clause—soit des dommages causés à la suite de l’exécution ou à l’occasion du contrat—ne peut avoir pour effet de tenir la Ville indemne pour les dommages qui résultent de sa seule faute. De plus, la Cour nous rappelle un ancien principe d’interprétation de contrats, contra proferentem (qui signifie littéralement « contre celui qui met [la clause] de l’avant »), codifié dans notre Code civil à l’article 1432 édictant qu’en cas d’ambiguïté, l’interprétation d’une clause contractuelle doit favoriser la partie qui a contracté l’obligation (CMS) et non celle qui l’a stipulée (la Ville).

 

Dans son action en garantie à l’encontre de l’assureur de CMS, la Ville plaide qu’elle est bénéficiaire de la couverture de dommages résultant du contrat de déneigement entre la Ville et CMS, et ce, sans égard pour l’identité du responsable de la faute à l’origine du préjudice. L’assureur de CMS fait valoir, de son côté, que la couverture d’assurance porte sur la responsabilité de CMS pour des fautes commises par cette dernière ou ses employés dans le contexte du contrat de déneigement et non pour les dommages causés par la faute de la Ville.

 

La Cour fait le tour des forces et des faiblesses corrélatives des arguments soumis de part et d’autre en concluant que, puisque la faute de la Ville (le fait de refuser de munir les bornes-fontaines de tuteurs) n’est pas reliée à l’exécution du contrat en soi, elle ne peut réclamer le bénéfice de la couverture d’assurance de l’assureur de CMS.

 

Ainsi, la Cour d’appel confirme le jugement de la Cour supérieure et rejette l’appel de la Ville. 

 

Pour toute question ou commentaire, n’hésitez pas à communiquer avec l’auteur de cette chronique.

aiacovelli@millerthomsonpouliot.com

Tél. : 514 871-5483

 

Miller Thompson Pouliot

Miller Thompson Pouliot