[Au tribunal] Obligation de résultat pour l’entrepreneur et bonne foi du cocontractant

6 décembre 2018
Par Me Karine Carrier, LL.M. Sociétaire / Associate

Un peu plus d’un an après la décision rendue par la Cour d’appel dans Procureure générale du Québec c. Talon Sebeq inc.[1] (ci-après « Talon Sebeq »), les tribunaux se sont prononcés une fois de plus sur l’obligation de renseignement du ministère des Transports du Québec (ci-après le « MTQ ») dans le cadre d’un contrat de construction contraignant les parties à utiliser un procédé spécifique d’enrobé à froid pour les travaux à effectuer.

Dans un jugement rendu le 26 septembre dernier, la Cour du Québec condamnait à nouveau le MTQ pour avoir manqué à cette obligation[2].

 

Les faits

Le 7 juin 2012, Construction Injection EDM inc. (ci-après « EDM ») s’est vu octroyer par le MTQ un contrat pour la réfection d’un pont dans la municipalité de Saint-Stanislas. EDM confi e à Construction DJL inc. (ci-après « DJL ») les travaux de revêtement de pavage du tablier du pont conformément à un devis spécial fourni par le MTQ. Ce dernier impose à DJL l’utilisation d’un enrobé à froid.

 

En août 2013, le MTQ décèle des déficiences à la suite de la pose de l’enrobé à froid. Le MTQ se plaint, au printemps 2014, de l’état de la chaussée sur le pont qui se soulève à plusieurs endroits. Des discussions sont alors engagées entre le MTQ et EDM afin d’apporter les correctifs nécessaires. Le 27 août 2014, les coûts des correctifs sont estimés à 11 520 $. Le MTQ s’engage à en assumer la moitié. Les travaux correctifs s’élèvent finalement à 6 795 $ et aucun avis d’insatisfaction n’est envoyé par le MTQ à l’endroit de EDM.

 

Toutefois, EDM éprouve de la difficulté à se faire payer par le MTQ qui se dit insatisfait des travaux correctifs et refuse d’acquitter sa part. Ce n’est qu’en mars 2015 que le MTQ manifeste son mécontentement à l’égard de l’enrobé à froid qui arrache prématurément. Le MTQ, prétendant un défaut du matériau, refuse de payer à EDM la moitié des coûts des travaux correctifs, en plus de retenir une somme de 5 000 $ à titre de pénalité permanente.

 

Dans ces conditions, EDM refuse de payer DJL pour les travaux correctifs. Un litige s’ensuit à cet égard entre EDM et DJL, lequel se conclura par un règlement hors cour. Puisque le MTQ maintient la retenue de 5 000 $ imposée à EDM, cette dernière entreprend des procédures judiciaires.

 

La décision

Le tribunal répond à deux questions en litige. Tout d’abord, le MTQ soutient que EDM devait absolument se prévaloir de la procédure de réclamation établie dans le Cahier des charges et devis généraux relatif à la construction et la réparation des infrastructures routières (ci-après le « CCDG »), ce qu’elle n’a pas fait. Le tribunal note que le contrat initial entre le MTQ et EDM stipule que le CCDG fait partie intégrante du contrat. Le CCDG contient une disposition claire permettant au MTQ de « retenir une somme d’argent a priori destinée à l’entrepreneur afin de le contraindre à réaliser des travaux conformes à ses engagements contractuels »[3] et pouvant devenir une retenue permanente afin de compenser les déficiences observées.

 

Malgré l’importance qu’accordent les tribunaux au respect de ces procédures de réclamation, le tribunal rappelle qu’il est possible pour les parties d’y renoncer, expressément ou tacitement.

 

En l’espèce, le tribunal considère qu’il y a eu renonciation du MTQ à la suite de l’entente intervenue avec EDM le 27 août 2014 suivant laquelle il consentait à assumer la moitié des coûts des travaux correctifs. Le tribunal conclut que le MTQ a ainsi renoncé à la procédure de réclamation prévue au CCDG et que par conséquent, l’inobservance de cette procédure par EDM ne lui est pas opposable.

 

Le tribunal poursuit son analyse en se questionnant sur la retenue de 5 000 $ exercée par le MTQ. Le tribunal rappelle que bien qu’un entrepreneur général soit tenu d’une obligation de résultat à l’égard des travaux rendus, il doit en retour pouvoir compter sur la bonne foi de son cocontractant.

 

L’utilisation d’un enrobé à froid pour les travaux, de même que les détails relatifs à sa composition et à sa méthode de pose, étaient imposés par le MTQ. Or, le tribunal conclut que le MTQ savait ou devait savoir que l’usage de l’enrobé à froid n’était pas toujours efficace et que ce matériau était susceptible de s’user prématurément.

 

En outre, dans l’affaire Talon Sebeq[4] mentionnée précédemment, l’entrepreneur avait effectué pour le MTQ des travaux impliquant l’utilisation de l’enrobé à froid. Suivant l’usure prématurée du matériau, Talon Sebeq avait dû effectuer des travaux correctifs que le MTQ refusait de payer. La Cour d’appel estima que le MTQ avait failli à son obligation de renseignement, puisqu’il disposait d’informations lui permettant de savoir que l’enrobé à froid était susceptible d’occasionner un usage prématuré mais qu’il n’en avait jamais fait part à Talon Sebeq. Elle condamna donc le MTQ à acquitter les frais reliés aux travaux correctifs.

 

Le MTQ disposait donc d’informations privilégiées concernant l’enrobé à froid, ayant déjà éprouvé des difficultés liées à son utilisation. Par conséquent, il ne pouvait contraindre l’entrepreneur à l’utiliser sans l’avoir préalablement informé des risques liés à son usage. À cet effet, le tribunal estime que le MTQ a manqué à son obligation de renseignement envers EDM.

 

Le tribunal ajoute en conclusion que le MTQ demeure lié par l’entente conclue le 27 août 2014. Le MTQ prétend avoir commis une erreur dans son appréciation de la cause de l’arrachement par plaques sur la chaussée du pont afin de justifier son refus de payer sa partie des travaux correctifs. Toutefois, le tribunal convient qu’il s’agit d’une erreur inexcusable considérant que le MTQ savait ou devait savoir que l’usage de l’enrobé à froid comportait des risques d’arrachement importants.

 

Par conséquent, le tribunal accueille la demande et conclut que la retenue permanente imposée par le MTQ doit être levée et payée à EDM inc.

 

En conclusion

Cette décision illustre bien l’importance de l’obligation de renseignement des parties à un contrat de construction. Bien qu’un entrepreneur général puisse être tenu à une obligation de résultat dans le cadre de ses travaux, il doit pouvoir compter sur la bonne foi de son cocontractant, ce qui implique notamment le partage d’informations pertinentes détenues par ce dernier.


Pour toutes questions ou commentaires, vous pouvez joindre MeKarine Carrier par courriel àkcarrier@millerthomson.com ou par téléphone au 514 879-4070

 

Miller Thomson avocats


Miller Thomson avocats


1. 2017 QCCA 363.

2. Construction injection EDM inc. c. Procureure générale du Québec (Ministère des Transports du Québec), 2018 QCCQ 7060 (CanLII).

3. Id.

4. 2017 QCCA 363, préc., note 1.

 

Cet article est paru dans l’édition du 22 novembre 2018 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.