[Au tribunal] Prolongation de chantier et formalités de réclamation : l’importance de respecter les délais

27 septembre 2018
Par Maitre Marie-Catherine Ayotte

Dans une décision rendue le 23 août dernier[1], la Cour supérieure du Québec a rappelé l’importance pour un entrepreneur de respecter les formalités de réclamation prévues à son contrat sous peine de déchéance. Dans cette affaire, l’entrepreneur, confronté à des conditions climatiques extrêmes et exceptionnelles en cours de projet, s’est vu refuser sa réclamation pour frais de prolongation de chantier en raison du non-respect des formalités prévues à son contrat avec le ministère des Transports (ci-après « MTQ »)[2].

 

Les faits

Le 15 avril 2011, à la suite d’un appel d’offres, le MTQ octroie un contrat pour la construction d’un pont au-dessus de la rivière David, dans la municipalité de Saint-David.

 

Le devis spécial prévoit que les travaux pourront commencer dès le 5 juillet 2011 et qu’ils devront être terminés au plus tard le 15 novembre 2011 (« le délai long »). L’entrepreneur dispose de 16 semaines pour exécuter les travaux à pied d’oeuvre (« le délai court »). Le défaut par celui-ci de respecter ces délais l’expose à des pénalités. Le 20 juillet 2011, l’entrepreneur procède à sa mobilisation et commence ses travaux le 25 juillet.

 

Le 28 août 2011, alors que le chantier accuse déjà un retard de 10 jours, un cyclone post-tropical, issu de l’ouragan Irene, déverse des pluies importantes et provoque la crue de la rivière David, inondant la zone des travaux. Dans les semaines suivantes, le niveau de la rivière monte à quatre reprises au-dessus de celui des batardeaux conçus et mis en place par l’entrepreneur. Cette situation engendre des retards supplémentaires dans les travaux. Les travaux de l’entrepreneur se poursuivent jusqu’au 18 décembre 2011, en conditions hivernales, et ceux-ci doivent être finalisés et parachevés au printemps 2012.

 

Réclamations de l'entrepreneurs

L’entrepreneur réclame au MTQ des frais de prolongation de chantier de l’ordre de 244 493,83 $, soit pour 38 jours de retard, comprenant entre autres les retards causés par les pluies exceptionnelles et l’exécution des travaux en conditions hivernales. De plus, il demande un remboursement de 74 200 $ pour les pénalités imposées par le MTQ, alléguant leur caractère abusif et déraisonnable.

 

Il réclame également le prix des quantités réelles de matériaux de remblai mis en place au chantier, soutenant que les quantités estimées aux documents d’appel d’offres étaient inadéquates et non représentatives des quantités requises pour les travaux de remplissage des excavations.

 

Prétentions des parties

L’entrepreneur plaide que les conditions climatiques exceptionnelles ont causé des retards qui ne lui sont pas imputables et qui justifient une prolongation de la période d’exécution des travaux au-delà de la date butoir.

 

Le MTQ prétend que les pluies n’étaient pas exceptionnelles, que les batardeaux conçus et installés par l’entrepreneur n’étaient pas suffisamment élevés de sorte que les inondations auraient pu être évitées. De plus, celui-ci a fait défaut de respecter les formalités prévues au Cahier des charges et devis généraux (« CCDG ») quant aux procédures et aux délais de réclamation, et ce défaut est de nature à entraîner l’irrecevabilité de ses réclamations.

 

Analyse

Dans un premier temps, la Cour souligne que le respect des délais et des échéances des travaux par l’entrepreneur constitue une obligation de résultat. Cette obligation se retrouve également dans le CCDG. L’entrepreneur ne peut se dégager de sa responsabilité qu’en prouvant la force majeure, à savoir un événement « imprévisible et irrésistible ».

 

Le tribunal tire les conclusions suivantes de la preuve hydrologique présentée par les experts des parties : la tempête Irene ainsi que les troisième et quatrième inondations, de même que leur survenance successive, constituent des événements fortuits et imprévisibles qui se qualifient de force majeure. Une élévation des batardeaux à la hauteur des hautes eaux n’aurait vraisemblablement pas empêché l’inondation du site à la suite de ces trois événements.

 

La Cour retient toutefois qu’en adoptant un échéancier serré et en ne commençant ses travaux que le 25 juillet alors qu’il pouvait les commencer à compter du 5 juillet 2011, l’entrepreneur s’est placé dans une situation où il risquait de devoir terminer ses travaux en conditions hivernales. Par conséquent, s’il avait adopté un calendrier moins risqué et si l’échéancier avait été respecté dès le début des travaux, les conséquences des inondations auraient été beaucoup moins importantes. L’impact des conditions météorologiques ne peut donc justifier la prolongation des délais réclamés.

 

Dans un deuxième temps, l’entrepreneur n’a pas suivi la procédure de réclamation prévue au contrat en ne transmettant pas sa réclamation directement au ministre dans un délai de 120 jours de l’estimation finale des travaux, ce qui est fatal. La preuve présentée ne permet pas d’inférer de la conduite des parties qu’elles ont assoupli les modalités prévues au CCDG ni que le MTQ a renoncé aux formalités applicables. Ce faisant, la Cour rejette la réclamation de l’entrepreneur pour les délais supplémentaires.

 

Finalement, la Cour conclut que les pénalités de 500 $ par jour de retard du « délai court » et de 2 000 $ par jour de retard du « délai long », imposées par le MTQ, ne sont pas excessives ni déraisonnables. Les clauses pénales sur lesquelles elles se fondent ne sont donc pas abusives. Le contexte des travaux d’infrastructures publiques, qui requièrent la fermeture ou le détournement de voies de circulation, ainsi que les impératifs liés aux changements de saisons qui posent des contraintes dans l’exécution des travaux extérieurs proches d’un plan d’eau, justifient de telles pénalités.

 

Quant à la réclamation pour les quantités de matériaux de remblai mis en place, la Cour retient que le MTQ n’a pas failli à son obligation de renseignement envers l’entrepreneur et qu’il appartenait à ce dernier de s’informer au moment opportun sur la quantité de MG 112 estimée pour les travaux. En omettant de faire cette vérification, l’entrepreneur n’a pas respecté son obligation de se renseigner et doit en assumer les conséquences. De plus, au même titre que pour les frais de prolongation de chantier, l’entrepreneur n’a pas respecté les formalités prévues au contrat pour présenter sa réclamation.

 

Conclusion

Cette décision rappelle l’importance pour un entrepreneur de lire attentivement son contrat et de prendre bonne note des délais à respecter de manière à éviter une situation similaire à celle survenue en l’espèce. En cas de doute quant au point de départ d’un délai, la prudence commande d’adopter une approche plus conservatrice et de ne pas tarder à remplir les formalités requises.

 

1.Coffrage Alliance ltée c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCS 3782.

2. La Procureure générale du Québec agit aux droits du MTQ, désormais le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports.


Pour toutes questions ou commentaires, vous pouvez joindre MeMarie-Catherine Ayotte par courriel au mayotte@millerthomson.com ou par téléphone au 514 879-2138

 

Miller Thomson avocats


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Cet article est paru dans l’édition du 11 septembre 2018 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.