Le bois d’ingénierie franchit un pont

24 décembre 2013

Gros plan sur le pont de Maicasagi, le plus long ouvrage d’art en bois au monde. Une prouesse d’ingénierie qui vaut le détour en Jamésie.

Par Marie Gagnon

 

Soixante-dix mètres. C’est la portée du pont Maicasagi, un pont forestier donnant accès aux territoires situés au nord de la rivière du même nom. Il est non seulement le plus long pont de bois en son genre au monde, mais sa structure est conçue pour supporter une charge utile de 180 tonnes métriques, en plus de sa charge morte. Sa conception était en outre soumise à des contraintes liées notamment à l’éloignement, à un échéancier serré, au frai de l’esturgeon jaune et à l’encaissement de la rivière.

 

Ce sont d’ailleurs ces conditions qui ont amené le ministère des Ressources naturelles du Québec (MRN), le donneur d’ouvrage, à revoir sa position initiale, qui mettait en oeuvre l’acier, et à envisager le bois comme solution. En raison, entre autres, de la portée libre exigée afin d’éliminer le recours à une pile centrale. Le béton, qui n’offre que 48 mètres de portée libre, s’est donc vu écarter d’emblée.

 

Quant à l’acier, le temps a joué en sa défaveur. La fabrication des éléments d’acier exige en effet entre 12 et 16 semaines, alors que les délais d’exécution – juillet 2011 à février 2012 pour le design et l’installation – étaient très courts. À un coût inférieur à celui de l’acier, on parle de 2 millions en tout et partout, le bois d’ingénierie offrait une portée libre suffisante et des délais de fabrication de seulement cinq semaines.

 

« D’autres contraintes ont influencé la conception de l’ouvrage, relate Jean-Claude Baudry, directeur du développement des affaires pour Nordic Structures Bois. Afin d’éviter que des billes de bois n’endommagent la structure, je rappelle qu’il s’agit d’un pont forestier et qu’on est en région éloignée, celle-ci devait se trouver sous le tablier. La structure devait aussi permettre à un homme de se tenir debout dans un canot lorsque la rivière est à son plus haut niveau. Une structure en arche s’est donc imposée dès le départ. »

Une structure novatrice

Il n’en fallait pas plus pour stimuler l’esprit créateur de Jean-Claude Baudry, qui est aussi ingénieur et architecte. Avec le concours de Louis-Philippe Poirier et Viktor Egorov, de Stavibel, pour les calculs d’ingénierie, il a conçu une structure novatrice composée de deux poutres à caissons légèrement arquées et reliées entre elles par des diaphragmes. Les parois des poutres-caissons sont formées de panneaux massifs de bois lamellé-croisé (également appelé CLT) de trois plis, assemblés au moyen de poutres de bois lamellé-collé.

 

Pour faciliter leur transport et leur mise en oeuvre, les poutres-caissons ont été fabriquées en trois sections (22 ; 24,4 ; 22 m), chacune large de 1,5 mètre et haute de 3,6 mètres. Espacées de 2,4 mètres entraxes, ces poutres caissons supportent le platelage de CLT de 5 plis d’épaisseur qui constitue la surface de roulement du pont. En tout, quelque 230 mètres cubes de bois lamellé-collé et 245 mètres cubes de CLT ont été nécessaires à la réalisation du pont Maicasagi. Question d’esthétique et d’imputrescibilité, le tout est revêtu d’un bardage de mélèze.

 

« Cela ne s’était jamais fait auparavant, s’exclame le porte- parole de Nordic Structures Bois. Les efforts de tension dans les joints de transport s’élevaient à 14 000 kilonewton. Près de 60 tonnes de connecteurs d’acier été ont utilisées pour assembler les différents éléments de l’ouvrage. C’est l’assemblage en bois le plus important au monde à ce jour. »

L’avantage bois

La stabilité dimensionnelle et la rigidité bidirectionnelle du CLT ont également été prises en compte dans l’élaboration de la solution finale. Comme ses couches sont collées perpendiculairement, ce matériau d’ingénierie ne réduit ni en longueur ni en largeur. De plus, la disposition croisée de ses planches permet de le faire reposer en porte-à-faux. Ces propriétés physiques ont d’ailleurs facilité l’ancrage de la structure aux culées de béton.

 

« C’est un choix à la fois logique et écologique, poursuit Jean-Claude Baudry. On est en pleine forêt boréale, aussi bien utiliser du bois boréal. Ce n’est pas seulement une ressource locale, c’est aussi une ressource qui permet de lutter contre le changement climatique. On dit que la mise en oeuvre d’un mètre cube de bois équivaut à retirer environ une tonne de CO2 de l’atmosphère. Le pont Maicasagi en séquestre à lui seul quelque 500 tonnes. »

 

L’équipe de Chantier Chibougamau a mis trois mois pour assembler et monter la structure, en conditions hivernales et sur un site particulièrement hostile et difficile d’accès. Sa mise en oeuvre a de plus nécessité la construction de deux ponts temporaires en bois reposant sur un îlot artificiel. Pour ne pas entraver la montée de l’esturgeon, cette butée centrale devait obligatoirement être retirée avant le mois d’avril. Un défi de plus pour les concepteurs et une condition de plus en faveur du matériau bois.

 

SORTIR DU BOIS

Les ponts de bois sont-ils promus à un bel avenir ? Selon Jean-Claude Baudry, ce matériau n’est pas suffisamment spécifié par les concepteurs. « Ce n’est pas la longévité du bois qui est en cause, souligne-t-il d’entrée de jeu. Construit il y a 400 ans, le pont de Lucerne est le plus vieux pont de bois au monde. Il fait la preuve que le bois est aussi durable que l’acier et le béton. »
Mais sa mise en oeuvre doit être faite selon les règles de l’art, prévient-il. Il rappelle du même souffle que le choix d’un matériau plutôt que d’un autre dépend souvent des conditions du site.
« À Maicasagi, le bois s’imposait, dit-il. Comme il s’est avéré un choix adapté au pont de la forêt Montmorency et à celui de la rivière Témiscamie, construits respectivement en 2010 et en 2008. Il faut mettre le bon matériau au bon endroit. »