Comme un jeu d’enfant : la construction modulaire s’élance en hauteur

5 mai 2017
Par Léa Méthé-Myrand

Les manufacturiers québécois d’habitations préfabriquées se lancent dans la construction multilogement. À l’image du complexe Loggia, dont la phase I de six étages a été assemblée en sept jours, ils comptent exporter dans le monde entier des ensembles modulaires en bois pour une large variété de gabarits d’immeubles.

«Chaque module est autoportant et peut supporter le poids de ceux qui sont au-dessus. Les modules du dessous sont donc plus robustes, mais autrement c’est comme un jeu de blocs », explique Alexandre Blouin, architecte associé chez Blouin-Tardif. Le cabinet signe la conception architecturale du projet Loggia, à Saint-Lambert, le premier bâtiment modulaire en bois de six étages bâti au Canada.

 

Si l’analogie avec la tour de blocs évoque une géométrie grossière, Alexandre Blouin affirme plutôt trouver dans ce mode constructif une flexibilité comparable à celle des structures de bois ou de béton, qui viennent avec leurs propres paramètres.

 

« L’un des avantages est de pouvoir placer des blocs en porte à faux. Pour les étages supérieurs du projet Loggia, le système modulaire a facilité la conception d’une volumétrie originale », explique-t-il.

 

Pour la circulation, les corridors comme les cages d’ascenseurs sont aménagés grâce à des percements dans des modules. « Quand on dessine les appartements, il faut évidemment tenir compte du système formé de boites juxtaposées. Composer avec la trame de module, c’est l’alphabet du travail ! », ajoute Alexandre Blouin.

 

Ce sont les contraintes de transport qui dictent les dimensions de cette trame. Chaque module mesure 16 pieds de largeur, par un maximum de 70 pieds de longueur. Cela correspond à la capacité des remorques qui acheminent les pièces au chantier.

 

Construction express

Fabriquer les modules en simultané avec la préparation du site réduit le temps de construction. Cela présente l’avantage de diminuer les frais de financement et permet de collecter plus rapidement un revenu.

 

Dans le cas du complexe Loggia, l’excavation, la décontamination et le coffrage des fondations se sont déroulés d’août à octobre 2016, alors que les unités étaient machinées à l’usine des Industries Bonneville, à l’abri des intempéries. Une équipe de douze personnes assistées d’une grue a assemblé les 78 modules de la phase I, qui comprend 66 logements locatifs, en sept jours seulement.

 

Les murs de chaque unité sont en colombages de bois disposés au 12, 16 ou 24 pouces et remplis d’isolant incombustible. La plomberie et l’électricité y sont déjà installées, comme le mobilier intégré des cuisines et des salles de bain. Il suffit de raccorder les systèmes mécaniques, tirer les joints et peindre pour obtenir un logement prêt à l’occupation. Évidemment, l’étanchéisation et le revêtement de l’enveloppe doivent être réalisés sur le site.

 

Alexandre Blouin estime le gain de temps à 25 % par rapport à un calendrier de réalisation conventionnel. Selon Industries Bonneville, la préfabrication permet de réduire les coûts de 15 %. Cela s’explique par les économies d’échelle dans l’achat de la matière première et par l’embauche de main d’oeuvre dont le salaire est inférieur à celui des travailleurs de la construction mais aussi par des procédés plus standardisés et prévisibles.

 

Les promoteurs du projet Loggia, Industries Bonneville, LSR GesDev et le fonds immobilier Ipso Facto, prévoient ajouter trois phases à l’ensemble pour atteindre 241 unités. L’investissement total sera de 70 millions $.

 

Demain, le monde !

Sur le plan environnemental, la préfabrication permet l’utilisation optimale des ressources, en occasionnant moins de pertes et de déchets que la construction conventionnelle. Rappelons que le bois est un matériau renouvelable qui séquestre le carbone, un atout qui le distingue du béton et de l’acier dont la production est plus énergivore et polluante.

 

Si les avantages de ces systèmes semblent évidents, la construction de bois en hauteur ne fait l’objet d’une réglementation favorable que depuis peu au Québec. Les directives permettant d’ériger des bâtiments à vocation résidentielle jusqu’à six étages ont été publiées par la Régie dubâtiment en 2013 et intégrées au Code de la construction en 2015.

 

L’ouverture du marché québécois aux immeubles issus de la préfabrication en bois motive également les manufacturiers à exporter ces produits au-delà de nos frontières. Lors du colloque Vision 2030, des grands joueurs de l’industrie dont Maisons Laprise et Pro-Fab, ont résolu de positionner le Québec comme chef de file mondial en la matière et d’augmenter les exportations de 254 millions à 3 milliards de dollars en 2030.

 

Il s’agit dans un premier temps de miser sur les centres urbains situés dans un rayon de 1000 km, de part et d’autre de la frontière américaine. On compte par la suite combler une fraction de l’importante demande mondiale pour la construction résidentielle, alimentée notamment par croissance de la classe moyenne dans plusieurs pays asiatiques.

 

L’industrie québécoise se distingue par son accès à la matière première et par la qualité de ses produits. Elle doit toutefois faire face à une pénurie de main-d’oeuvre qualifiée en misant notamment sur l’automatisation.

 

S’ils comptent rapidement substituer les produits à valeur ajoutée à l’exportation de bois brut, les manufacturiers devront intégrer les pratiques et standards étrangers en matière de construction. Ils pourraient bientôt devoir revoir la trame des modules en fonction des dimensions… des conteneurs maritimes !