Comment tirer profit du cautionnement de main-d’œuvre

3 mars 2015
Par Me Andréanne Sansoucy, LL.B., LL.M.

Le cautionnement de main-d’œuvre et matériaux est celui par lequel la caution s’engage à payer les créances dues aux ouvriers, fournisseurs de matériaux et sous-entrepreneurs si l’entrepreneur général fait défaut de les acquitter.

Les ouvriers, fournisseurs et sous-entrepreneurs sont des « réclamants » au sens du cautionnement, ce qui leur permet d’exercer un recours direct contre la caution.

 

Pour bénéficier du cautionnement, ceux-ci doivent toutefois respecter les conditions qu’il contient, autrement ils peuvent perdre leurs droits. Les formalités pour la mise en œuvre du cautionnement sont différentes de celles qui donnent ouverture au droit à l’hypothèque légale et varient selon le contrat de cautionnement, d’où l’importance pour les réclamants potentiels d’obtenir dès le début d’un projet de construction les détails concernant le cautionnement souscrit par l’entrepreneur général, de formuler une demande formelle à cet effet à l’entrepreneur général et de l’exiger ; autrement ils n’auront ni recours contre la caution, ni contre le propriétaire1.

 

La jurisprudence (les décisions rendues par les tribunaux) démontre que la stricte observation des conditions contenues au cautionnement est requise. La jurisprudence contient cependant certaines exceptions dans les cas où un manquement à la forme ne cause aucun préjudice à la caution. L’affaire opposant Intact au sous-traitant Réfrigération Noël, tranchée récemment par la Cour du Québec et la Cour d’appel s’inscrit dans le cadre de ces exceptions.

 

La décision de la Cour du Québec (première instance)2

Dans le cadre du projet de réfection des services de l'Établissement de détention de Québec entrepris par la Société immobilière du Québec (ci-après « SIQ »), Intact Assurance inc. (ci-après « Intact ») cautionne les obligations de Génitech entrepreneur général inc. (ci-après « Génitech ») à l’égard de la main-d’œuvre, les matériaux et services. Réfrigération Noël inc. (ci-après « Réfrigération Noël ») exécute les travaux d’électricité en vertu d’un contrat de sous-traitance octroyé par Génitech. Réfrigération Noël complète entièrement ses travaux le 21 octobre 2011, à la satisfaction tant de Génitech que de la SIQ.

 

Le 16 février 2012, lorsque Génitech commence à éprouver des difficultés financières, une rencontre est tenue aux bureaux de la SIQ entre les représentants de Génitech, d’Intact et de la SIQ. Les discussions portent notamment sur les soldes à payer. À cet égard, un tableau relatif aux soldes à payer aux sous-traitants est distribué et ce tableau comprend la mention du solde dû à Réfrigération Noël (29 315,56 $).

 

Le 13 mars 2012, la représentante de Réfrigération Noël écrit au représentant de la SIQ un courriel par lequel elle demande de connaître la date prévue du paiement, compte tenu qu’elle n’a pas eu de nouvelles malgré la quittance qu’elle lui a transmise en février. Le représentant de la SIQ lui répond que la SIQ est en échange avec la caution et l’entrepreneur pour voir à finaliser le dossier.

 

Dans les faits, en avril 2012, est conclue entre Intact, Génitech et la SIQ une entente par laquelle la SIQ s’engage à remettre à Intact toutes les sommes encore dues, soit les montants indiqués dans le tableau susmentionné qui comprend le montant dû à Réfrigération Noël.

 

Le 30 août 2012, les avocats de Réfrigération Noël transmettent à M. Thérien, le représentant d’Intact, une mise en demeure pour le paiement de la créance de Réfrigération Noël. Intact refuse de procéder au paiement demandé, alléguant que Réfrigération Noël a fait sa demande de paiement hors du délai stipulé au cautionnement pour telle demande de paiement, c’est-à-dire dans les 120 jours suivant la fin des travaux de Réfrigération Noël, lequel délai tombe le 19 février 2012.

 

Puisque les représentants d’Intact étaient informés du montant dû à Réfrigération Noël lors de la rencontre du 16 février 2012, et ce, à l’intérieur du délai de 120 jours suivant la fin des travaux, Intact est-elle tenue de verser la somme réclamée par Réfrigération Noël ?

 

La Cour souligne que chaque cas est un cas d’espèce et procède ainsi à déterminer si, selon les faits, Intact savait à l’intérieur du délai de 120 jours qu’elle aurait effectivement un montant à payer à Réfrigération Noël. La Cour rappelle le principe énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Citadel Assurances c. Johns-Manville Canada3, suivant lequel si le but des avis et autres formalités stipulées au cautionnement a été atteint et que la caution n’en subit aucun préjudice, la caution ne pourra pas se prévaloir du manquement à une telle formalité pour être libérée de ses obligations.

 

Conséquemment, la réclamation de Réfrigération Noël est bien fondée puisque la preuve démontre que les représentants d’Intact ont été informés dans le délai de 120 jours de la créance à payer à Réfrigération Noël. Au surplus, Intact a reçu ou devait recevoir le montant de la créance de Réfrigération Noël en vertu de l’entente conclue en avril 2012 avec la SIQ. Intact est donc condamnée à payer la créance de Réfrigération Noël.

 

La requête pour permission d’appeler présentée par la caution Intact4

En appel de la décision de la Cour du Québec, Intact allègue que le juge de première instance a erré en droit en interprétant qu’une connaissance acquise par la caution de l’existence d’une créance due par l’entrepreneur général à son sous-traitant suffirait pour écarter l’exigence de  la demande de paiement stipulée au cautionnement.

 

Intact soulève que la jurisprudence à cet effet est contradictoire et que la question devrait donc être soumise à l’examen de la Cour. La Cour d’appel ne partage pas son avis, compte tenu du fait que la décision de la Cour du Québec est fondée sur le principe énoncé par l’arrêt de la Cour suprême Citadel Assurances c. Johns-Manville Canada5 à l’effet que « lorsque le but des dispositions relatives aux avis dans le cautionnement a été atteint dans les délais prescrits et que [la caution] n’a subi aucun préjudice, l’objet même de la souscription du cautionnement se trouverait annihilé si [la caution] était libérée de son obligation » et appliqué par la jurisprudence subséquente. La Cour d’appel rejette donc la requête pour permission d’en appeler.

 

Afin d’éviter d’être impliqués dans un tel litige et être payés par la caution, les sous-traitants doivent s’assurer de respecter strictement les conditions stipulées au cautionnement. Rappelez-vous : dénonciation du sous-contrat, avis de réclamation et institution du recours contre la caution !

 


Pour toutes questions ou commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec MeAndréanne Sansoucy à asansoucy@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5455.

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 5 février 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !