La confiance : trop d'une bonne chose…

25 novembre 2013
Par Me Patrick Garon-Sayegh

Souvent, les parties à un contrat de construction choisissent d’établir seulement les grandes lignes du projet au début de celui-ci. Se faisant confiance, elles se disent que les « détails » pourront être réglés au fur et à mesure que le projet avance. Ces « détails » peuvent inclure la qualité de certains matériaux à fournir, le prix de certains matériaux, les délais à respecter et même des volets entiers du devis.

 

Trop souvent, cette confiance finit par jouer des mauvais tours : un manque de communication ou une incompréhension mutuelle qui peuvent sembler insignifiants au début finissent par se matérialiser en un litige vers la fin. Certes, il n’est pas toujours commode de tout mettre sur papier, mais c’est souvent bien plus facile que de passer devant un tribunal.

 

L’affaire 9015-9971 Québec inc. (Construction Pierre De Koninck) c. Beaudoin1 nous offre une situation où l’incompréhension mutuelle touchait un élément fondamental : la nature même du contrat entre les parties.

 

Les faits

La demanderesse 9015-9917 Québec inc. (ci-après « 9015 ») est sollicitée par la défenderesse Mme Beaudoin (ci-après « Beaudoin ») pour la reconstruction de sa résidence détruite par un incendie. Afin d’orienter le projet, 9015 montre à Beaudoin trois plans types parmi lesquels Beaudoin choisit celui qui lui convient. Ce plan indique que les coûts d’une construction peuvent varier entre 102 000 $ et 126 000 $, et 9015 y inscrit les mots suivants : « + sous-sol + terrassement + garage ».

 

Par la suite, 9015 prépare une estimation budgétaire pour les travaux dans laquelle elle indique que les travaux se feront au coût de 162 312 $. Ce devis estimatif est le seul document signé par les parties. Quelques jours plus tard, 9015 donne deux feuilles à Beaudoin contenant le détail des coûts envisagés pour chacune des parties du projet, feuilles sur lesquelles 9015 a inscrit « Estimation ». Les travaux se déroulent par la suite, sur plusieurs mois.

 

Tout au long des travaux, de nombreux éléments luxueux additionnels sont incorporés au projet initialement prévu. Plusieurs travaux sont payés au fur et à mesure, mais en décembre Beaudoin reçoit une facture pour environ 100 000 $ d’extras, facture qu’elle refuse de payer.

 

Beaudoin affirme que le contrat est un contrat à forfait « clés en main », et que tous les travaux devaient être compris dans l’estimation budgétaire initiale de 162 312 $. Pour sa part, 9015 est d’avis que le contrat en est un à formule de « coûts majorés », et que l’estimation ne pouvait inclure les éléments luxueux rajoutés par la suite.  Beaudoin refusant toujours de payer, 9015 poursuit.

 

Le jugement

L’essence du litige repose donc sur une question : quelle est la nature du contrat ? Un contrat clés en main, comme l’affirme Beaudoin, ou un contrat à « coûts majorés » (basé sur une estimation), comme l’affirme 9015 ? Vu le manque de documentation, la Cour se penche sur le comportement des parties, et ce, en deux étapes.

 

Premièrement, la Cour examine le comportement des parties jusqu’à la signature de l’estimation budgétaire. Le représentant de 9015 a témoigné à l’effet qu’il n’accepte jamais de travailler à forfait et que si cela avait été le cas, il aurait signé un contrat très précis. Pour sa part, Beaudoin soutient avoir accepté un contrat à forfait lors de la signature de l’estimation budgétaire. Or,  les parties ignorent au moment de la signature plusieurs volets de la construction, notamment les matériaux de finition.

 

Deuxièmement, la Cour examine le comportement des parties en cours de réalisation des travaux. La preuve démontre que Beaudoin a fait de nombreuses modifications au plan initial pour pouvoir incorporer des choix faits au fur et à mesure des travaux. 9015 a dirigé Beaudoin vers les fournisseurs appropriés, et elle a choisi ce qu’elle voulait. 9015 a également informé Beaudoin des coûts de matériaux et de main-d’œuvre durant les travaux de finition. Mais Beaudoin affirme néanmoins que le tout était inclus dans l’estimation budgétaire.

 

La Cour ne retient pas la version de Beaudoin, qui est régulièrement sur le chantier et s’assure que toutes ses demandes soient réalisées. En ne se posant jamais de questions, la Cour est d’avis que Beaudoin « a fait preuve de négligence et d’aveuglement injustifié » en se comportant comme si la maison de ses rêves pouvait être comprise dans l’estimation budgétaire qu’elle avait signée.

 

La Cour conclut donc que le contrat entre les parties en était un basé sur une estimation (article 2107 du Code civil), et que 9015 a le droit d’être payé pour les travaux qu’elle a complétés. 9015 ayant bien documenté les extras qu’elle réclame, et Beaudoin ayant admis que les travaux avaient été bien faits, la Cour condamne Beaudoin à payer.

 

Conclusion

9015 s’en est bien tirée dans cette affaire car les faits lui étaient grandement favorables. Ayant été de bonne foi et exécuté les travaux demandés correctement, il était normal qu’elle soit payée pour ceux-ci, compte tenu du raisonnement plus haut.

 

Mais les faits ne sont pas toujours aussi tranchants… La signature de quelques documents additionnels plus précis et quelques avis envoyés avec preuve de réception en cours de projet auraient peut-être pu éliminer le malentendu et éviter le litige. En de telles matières on peut souvent faire preuve de trop de confiance, mais rarement trop de prudence.

 

1. 2013 QCCS 2853.

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Patrick Garon-Sayegh au 514-871-5425 ou par courriel à pgsayegh@millerthomson.com


Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 4 octobre 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !