10 juin 2014
Par Me Patrick Garon-Sayegh

Les courriels sont maintenant omniprésents dans tous les domaines ; la construction n’y fait pas exception. Leur utilisation est saine à bien des égards, notamment parce qu’elle permet de bien documenter les communications en en conservant une preuve écrite, de manière simple et efficace. Mais l’utilisation de courriels est devenue tellement grande qu’elle génère son lot d’effets pervers, et en voici deux qui nous semblent les plus courants.

 

Premièrement : la masse de courriels générée. Dès qu’un projet de construction prend une certaine envergure au niveau du temps et de la complexité du travail, la quantité totale de courriels peut atteindre les milliers. Gérer les courriels entrants et sortants dans de tels cas devient presque une tâche à part entière. De plus, un tel volume de courriels augmente le risque d’erreurs ou de retards. Par exemple, un courriel important peut être reçu mais pas lu à temps car il se trouve noyé dans une masse de courriels disant simplement « OK », ou un courriel peut ne pas arriver au bon destinataire sans que celui qui l’ait envoyé ne le réalise à temps.

 

Deuxièmement : les courriels mal rédigés. Nous ne faisons pas référence ici aux fautes d’orthographe ou de conjugaison — nous laissons ce fardeau aux profs de français ! — mais bien aux courriels, souvent trop courts, qui sont ambigus et peuvent être interprétés de plusieurs façons. Souvent, et à tort, une personne ne prend pas le temps de rédiger un bon courriel clair et précis, croyant que le destinataire du courriel comprendra sûrement le message, qu’il renverra un courriel s’il a des questions, ou que de toute façon les deux vont pouvoir s’en reparler en personne plus tard. Mais souvent ce n’est malheureusement pas le cas, et le courriel reste mal compris.

 

Ces deux effets sont interdépendants. D’une part, plus on a des courriels à gérer, moins on aura tendance à prendre soin de rédiger des courriels détaillés. D’autre part, moins les courriels sont détaillés, plus on augmente les chances que d’autres courriels avec des questions, précisions ou simples « OK » nous reviennent, augmentant ainsi la masse de courriels à gérer.

 

En cas de litige, ces deux effets pervers peuvent facilement se retourner contre un entrepreneur. D’une part, il faut filtrer à travers une énorme masse de courriels simplement pour reconstruire le fil des communications échangées. D’autre part, un entrepreneur ne pourra dépendre de courriels ambigus pour prouver ses intentions dans une situation donnée.

 

La décision de la Cour supérieure dans l’affaire Constructions Robert Bolduc (2001) inc. c. Lavoie1 présente une situation ou les communications par courriel d’un entrepreneur — et leur manque de précision — se sont retournées contre lui.

 

Résumé de l’affaire

Les défendeurs Mme Lavoie et M. Paquin désirent refaire le sous-sol de leur maison ancestrale qui souffre d’infiltrations d’eau. Après que les sous-entrepreneurs eurent été choisis, l’entrepreneur général initial se désiste avant le début des travaux. Les défendeurs contactent alors la demanderesse Constructions Robert Bolduc (2001) inc. (« Bolduc ») : ils lui envoient des plans par courriel et le rencontrent sur place pour lui présenter en détail ce qui doit être réalisé. Après la rencontre, les défendeurs transmettent à Bolduc un autre courriel de commentaires avec un devis très détaillé (4 pages) contenant tous les travaux attendus. Notons ici que M. Paquin est chargé de projet dans un bureau d’architectes, qu’il documente ses échanges avec Bolduc et effectue de nombreux suivis tout au long du projet.

 

Quelques jours plus tard, en réponse à ce courriel des défendeurs, Bolduc transmet un courriel qui dit « voici le prix de votre soumission merci !! » avec une soumission en pièce attachée. La soumission contient un prix total, ventilé en 6 points.

 

S’ensuit un scénario classique : la relation dégénère entre les parties, les défendeurs mettent fin au contrat en cours d’exécution et Bolduc inscrit une hypothèque légale sur le bâtiment et poursuit en dommages pour des sommes qu’elle allègue lui être dues. Les défendeurs poursuivent Bolduc à leur tour pour diverses malfaçons et pour divers travaux non exécutés. Au cœur du litige : l’ampleur des travaux qu’avait à effectuer Bolduc, qui prétend que sa soumission n’est pas en lien avec le devis de 4 pages qui lui a été envoyé et qu’elle n’avait donc qu’à exécuter les travaux décrits en 6 points dans sa soumission.

 

La Cour n’est pas d’accord avec Bolduc pour quatre raisons principales : (1) Bolduc admet avoir reçu le devis de 4 pages des défendeurs, mais n’a jamais pris la peine de leur dire qu’elle n’entendait pas réaliser tout ce qui s’y trouvait ; (2) le document de soumission de Bolduc correspond grossièrement au devis de 4 pages ; (3) Bolduc a répondu au devis de 4 pages en écrivant « voici le prix de votre soumission » et non « voici une soumission » ou « voici une nouvelle soumission » ; et (4) M. Paquin a, à deux reprises pendant les travaux, retransmis le devis de 4 pages à Bolduc avec des commentaires quant à ce qui était attendu et Bolduc ne s’y est jamais opposé.

 

Bref, si Bolduc ne voulait pas soumissionner sur tout ce qui lui était demandé, elle n’avait qu’à être plus précise et se manifester de façon claire à cet effet, ce qu’elle n’a jamais fait. Le résultat : Bolduc est condamnée à payer les défendeurs pour les diverses malfaçons et inexécutions qu’ils lui réclamaient.

 

Conclusion

On ne peut insister assez sur l’importance de communiquer avec nos partenaires d’affaires en temps opportun, de manière claire et en s’assurant de couvrir tous les points importants.

 

Lorsque le temps presse, il n’y a pas de mal à se parler en personne, noter ce qui s’est dit et confirmer le tout dans un compte rendu détaillé rédigé par la suite. Faire preuve de discipline à cet égard peut sembler onéreux sur le coup — la tentation du petit courriel est toujours forte lorsque le temps presse — mais en fin de compte, éviter les malentendus si fréquents nous permet d’économiser temps et argent.

 

1. 2013 QCCS 4840.

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Patrick Garon-Sayegh au 514-871-5425 ou par courriel à pgsayegh@millerthomson.com

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 2 mai 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !