Déboisement illégal en cours de chantier : qui en est responsable ?

13 janvier 2010
Par Mathieu Turcotte

Il existe au Québec un régime de protection tout à fait particulier visant spécifiquement les arbres. De fait, la Loi sur la protection des arbres, qui ne compte essentiellement qu’un seul article, interdit de détruire ou d’endommager un arbre, un arbuste, un arbrisseau ou un taillis à moins du consentement de son propriétaire, sous peine d’être condamné à payer à celui-ci non seulement ses dommages réels (la valeur des arbres abattus) mais également des dommages-intérêts punitifs.

 

Cette possible condamnation à des dommages punitifs, aussi appelés dommages exemplaires, est quasi unique dans la législation québécoise, puisque ce type de dommages n’est prévu que dans certaines lois particulières, notamment en cas de violation des droits protégés par la Charte des droits et libertés de la personne. C’est dire le degré de protection que le législateur a voulu instaurer à l’égard de coupes intempestives.

 

Évidemment, ces coupes d’arbres illégales ne sont pas que le fait de voisins hargneux ou d’amateurs de baignade en manque de soleil. Il arrive en effet sur certains chantiers que l’érection d’un ouvrage nécessite préalablement un déboisement qui, s’il est mal exécuté, peut entraîner la responsabilité des intervenants. La question du partage de responsabilité entre l’entrepreneur et le propriétaire du chantier se pose alors dans toute sa complexité. La décision Commission scolaire des Affluents c. Luengas, rendue par la Cour d’appel en mai dernier, offre un raisonnement intéressant sur le sujet.

 

Une série d’erreurs
Au cours de l’année 1999, la Commission scolaire des Affluents conclut avec l’entrepreneur Progère Construction inc. un contrat pour la construction d’une nouvelle école dans la ville de Mascouche. Au terme de ce contrat, Progère doit déboiser une bande du terrain de la Commission scolaire, correspondant à l’emprise du futur chemin d’accès de l’école.

 

Des plans d’implantation et autres croquis sont préparés par les professionnels de la Commission scolaire et remis à l’entrepreneur. Un de ces croquis indique une largeur à déboiser de 22 mètres, en ligne avec le lot du voisin. Les responsables de Progère se fient à ces indications et mesurent la largeur indiquée, sans toutefois prendre la peine de vérifier l’emplacement de la borne du lot voisin. 

 

Or, il s’avère que la mesure indiquée au croquis aurait dû être mise à l’échelle, ce qui donne en réalité 18,25 mètres plutôt que 22. Le tout résulte en un déboisement important sur le lot voisin, soit près de 4 mètres sur une distance de 72 mètres.

 

Les voisins prennent action en Cour supérieure contre la Commission scolaire et Progère et réclament la valeur du bois coupé en plus des dommages punitifs prévus à la loi. La juge de première instance, sur la base de la preuve, conclut à une responsabilité partagée à raison de 10 % pour la Commission scolaire et de 90 % pour Progère, et condamne les deux défendeurs solidairement à des dommages totalisant plus de 33 000 $.

 

Pour conclure à la responsabilité de la Commission scolaire, la juge de première instance statue qu’elle avait mandaté un entrepreneur pour effectuer les travaux, mais qu’elle avait commis une faute en autorisant ceux-ci, sans plus.

 

La décision de la Cour d’appel
Bien qu’elle ne soit qu’accessoirement visée par le jugement de première instance, la Commission scolaire se pourvoit en appel. Il faut savoir que par suite de la faillite de Progère en 2007, la totalité du fardeau de la condamnation repose sur ses épaules, vu la condamnation solidaire, d’où son intérêt évident à voir réformer le jugement.

 

La Cour d’appel se montre ouverte aux arguments de la Commission scolaire sur la nature de son rôle. À titre de cliente dans le cadre d’un contrat de construction, la Commission scolaire n’était pas régie par les règles du mandat, tel qu’indiqué par la juge de première instance, mais bien par celles du contrat d’entreprise. La différence est majeure, puisque la responsabilité du client dans un contrat d’entreprise n’est pas automatique, mais exige au contraire la démonstration d’une faute ayant causé les dommages.

 

Or, pour la Cour, la Commission scolaire avait commis une telle faute en fournissant de l’information incomplète et erronée sur les travaux à être effectués, et a été négligente en ne vérifiant pas les limites de son terrain. Ces gestes entraînent sa responsabilité et la Cour d’appel maintient à cet égard les conclusions de la Cour supérieure.

 

Il faut retenir de cet arrêt qu’un contrat de construction, dans sa forme classique, n’est pas un contrat de mandat, mais bien un contrat d’entreprise régi par des règles qui lui sont propres. La responsabilité du client pour des dommages causés aux tiers n’est donc pas automatique et chaque cas doit être étudié à son mérite.

 


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