14 novembre 2014
Par Me Patrick Garon-Sayegh

En matière d’appel d’offres, si le plus bas soumissionnaire conforme se rend compte après l’ouverture des soumissions qu’il a commis une erreur de calcul et que son prix est trop bas, il est généralement tenu de respecter le prix qu’il a soumis. En effet, suite à l’ouverture des soumissions et l’identification du plus bas soumissionnaire conforme, le donneur d’ouvrage conclut presque automatiquement un contrat avec ce dernier.

 

Or, en matière contractuelle, le fait d’avoir commis une erreur ne peut pas être invoqué par une partie au contrat dans n’importe quelles circonstances ; l’erreur de la partie doit satisfaire certains critères pour être validement invoquée et modifier ou annuler le contrat. Si l’erreur ne satisfait pas les exigences fixées par le Code civil du Québec, le cocontractant de la partie en erreur peut exiger le respect du contrat tel que conclu et la partie en erreur doit absorber les conséquences de son erreur.

 

L’erreur d’une partie au contrat « vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes »1. Mais encore faut-il que l’erreur « porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement ». De plus, il faut que l’erreur ne soit pas une « erreur inexcusable »2.

 

Ainsi, le contractant qui croit avoir commis une erreur lorsqu’il a conclu le contrat doit démontrer : (1) qu’il a commis une erreur, (2) que celle-ci porte sur un élément essentiel du contrat, et (3) qu’elle est « excusable ». Le cocontractant doit démontrer l’inverse, soit en niant l’existence de l’erreur, sa portée ou son caractère inexcusable.

 

Dans une chronique publiée antérieurement3, nous avons discuté du jugement de la Cour supérieure (« CS ») dans l’affaire C. & G. Fortin inc. c. Société immobilière du Québec4, décision qui illustrait bien l’application des principes relatifs à l’erreur en matière d’appel d’offres. La Cour d’appel (« CA ») a récemment rendu jugement5 sur l’appel de la décision de la CS, nous offrant une bonne opportunité de rappeler ces principes de droit fondamentaux.

 

Faits

La demanderesse C. & G. Fortin (« Fortin ») a répondu à un appel d’offres publié par la défenderesse, la Société immobilière du Québec (« SIQ »), mais s’est rendu compte par la suite que sa soumission comportait une erreur : elle n’avait pris en compte qu’une seule section du devis technique et accidentellement ignoré les deux autres. Malheureusement pour Fortin, celle-ci a vu l’erreur trop tard, soit après l’ouverture des soumissions.

 

Or, la soumission de Fortin, rédigée sur un formulaire de la SIQ, prévoyait qu’une soumission était irrévocable pour une période de quarante-cinq jours à compter de la date limite de réception des soumissions. De plus, la SIQ a confirmé à Fortin qu’elle avait remporté l’appel d’offres le jour même de l’ouverture des soumissions.

 

Coincée, Fortin a tenté de se sortir de l’embarras en envoyant une lettre à la SIQ qui précisait qu’elle ne s’engageait qu’à réaliser les travaux relatifs à la section du devis prise en compte dans sa soumission. La SIQ a considéré cette lettre de Fortin comme un refus de respecter sa soumission et accordé le contrat au deuxième plus bas soumissionnaire, tout en réclamant à Fortin la différence entre les deux soumissions, soit 160 112 $. Fortin s’est donc tournée vers la CS pour faire déclarer le contrat nul.

 

Jugements

La CS accepte le témoignage du président de Fortin à l’effet que l’estimateur de l’entreprise croyait qu’il était possible de proposer un prix portant uniquement sur une des trois sections du devis technique. En conséquence, la CS est d’avis qu’il y a eu une erreur qui « porte clairement sur l’objet de la prestation ».

 

La CS juge toutefois que cette erreur est inexcusable, car une lecture minimalement attentive du devis aurait permis d’éviter toute confusion. De plus, Fortin savait que les travaux allaient inclure toutes les sections du devis ; son erreur était de croire qu’elle pouvait fournir un prix pour une seule section.

 

Fortin aurait simplement pu communiquer avec la SIQ pour clarifier la situation et, en plus, aucun représentant de Fortin ne s’est présenté à la séance d’information tenue par la SIQ avant le dépôt des soumissions.

 

Malgré l’erreur inexcusable de Fortin, la CS annule le contrat car elle est d’avis que la SIQ a voulu, de mauvaise foi, profiter de l’erreur de Fortin. En effet, la SIQ s’est empressée d’accepter la soumission le jour même de son ouverture sans exiger le respect de certaines clauses de l’appel d’offres qui, si respectées, auraient révélé l’erreur. L’empressement de la SIQ d’accepter la soumission permet à la CS de conclure que la SIQ voulait tirer avantage d’un prix anormalement bas.

 

La CA est d’accord avec l’analyse de la CS, mais nuance en précisant que la SIQ n’a pas agi de manière malicieuse.

 

Conclusion

La jurisprudence établit clairement qu’une erreur sur le prix d’une soumission ne constitue pas une erreur excusable justifiant l’annulation du contrat. Le soumissionnaire doit donc assumer son erreur, à moins que l’erreur ne soit apparente à la face même du contrat, ce qui est rarement le cas lorsqu’il s’agit seulement d’un prix beaucoup plus bas que les autres. En confirmant la décision de la Cour supérieure, la Cour d’appel nous montre qu’il peut y avoir des situations où une erreur sur le prix d’une soumission peut mener à l’annulation du contrat.

 

Notons toutefois que ce même dossier prendrait une tournure différente aujourd’hui, considérant les modifications au Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics apportées en 2013 qui obligent les organismes publics à examiner si le prix d’une soumission est anormalement bas : Fortin aurait possiblement pu se sortir de l’embarras sans avoir à invoquer l’erreur et satisfaire les exigences du Code civil.

 

1. Art. 1401 C.c.Q.

2. Art. 1400 C.c.Q.

3. « L’erreur excusable et l’appel d’offres », Journal Constructo, page 3, 2 octobre 2012.

4. 2012 QCCS 3522.

5. Société québécoise des infrastructures (Société immobilière du Québec) c. C. & G. Fortin inc., 2014 QCCA 730.

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Patrick Garon-Sayegh au 514-871-5425 ou par courriel à pgsayegh@millerthomson.com

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 21 octobre 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !