Évaluation de rendement insatisfaisant : une tache noire

12 août 2014
Par Me Patrick Garon-Sayegh

Ces derniers temps, les discussions entourant la Loi sur les contrats des organismes publics1 (« LCOP ») se sont surtout concentrées autour de son amendement par le fameux projet de loi numéro 12. En effet, ce projet de loi a introduit dans la LCOP le processus d’autorisation chapeauté par l’Autorité des marchés financiers et qui est maintenant obligatoire, entre autres, pour tout contrat et sous-contrat de construction dont la valeur est égale ou supérieure à 10 millions $3. Quoique ce processus d’autorisation soit maintenant devenu un élément clé de la LCOP, cette loi, et les règlements adoptés en vertu de cette loi, ont de nombreux autres éléments auxquels les entrepreneurs en construction peuvent se voir confrontés.

 

Parmi ces éléments sont les règles prévues au Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics4 (« Règlement ») relativement aux évaluations de rendement faites par les organismes publics à l’égard d’entrepreneurs cocontractants. Ces évaluations de rendement sont prévues aux articles 55 à 58 du Règlement et s’inscrivent dans les objectifs généraux de la LCOP, parmi lesquels se trouvent notamment la promotion de la mise en œuvre de systèmes d’assurance de qualité des travaux ainsi que la bonne utilisation des fonds publics.

 

Lorsque le rendement d’un entrepreneur est considéré insatisfaisant, l’organisme public cocontractant doit consigner cette évaluation dans un rapport. Ce rapport doit être complété au plus tard 60 jours après la date de la fin du contrat, et transmis à l’entrepreneur. Pour sa part, l’entrepreneur a 30 jours suivant la réception du rapport qui constate son rendement insatisfaisant pour transmettre ses commentaires par écrit à l’organisme public. Par la suite, il incombe au dirigeant de l’organisme public de maintenir ou non l’évaluation et informer l’entrepreneur de sa décision. Enfin, si le dirigeant de l’organisme public ne maintient pas l’évaluation de rendement, le rendement de l’entrepreneur est considéré satisfaisant.

 

Une évaluation de rendement insatisfaisant peut avoir des conséquences économiques importantes pour un entrepreneur, surtout lorsque cette évaluation provient d’un organisme public qui est source de nombreux contrats. En effet, l’article 8 du Règlement prévoit qu’un organisme public peut, dans ses documents d’appels d’offres, prévoir la possibilité de refuser de contracter avec tout entrepreneur ayant eu une évaluation de rendement insatisfaisant au cours des deux années précédant la date d’ouverture des soumissions.

 

L’importance des conséquences pour un entrepreneur qui reçoit une telle évaluation est d’autant plus problématique compte tenu du fait que le Règlement ne prévoit aucun mécanisme de révision ou d’appel des évaluations. C’est ce que vient démontrer une récente décision de la Cour supérieure dans l’affaire Construction DJL inc. c. Québec (Procureur Général)5.

 

Dans cette affaire, DJL demandait un sursis de la décision du ministère des Transports du Québec (« MTQ ») par laquelle ce dernier confirmait une évaluation de rendement insatisfaisant de DJL dans le cadre d’un contrat. Le sursis d’une décision administrative est une mesure de sauvegarde intérimaire en attendant que la légalité de la décision soit tranchée sur le fond. En l’espèce, les arguments de fond avancés par DJL étaient notamment que la décision était inéquitable, manifestement déraisonnable et qu’elle ne contenait aucun motif.

 

Une demande de sursis n’est normalement pas facile à obtenir, ce qui est démontré par ce jugement. En effet, une ordonnance de sursis est une mesure exceptionnelle, et le tribunal jouit d’un large pouvoir discrétionnaire pour l’accorder ou non. Celui qui demande l’ordonnance doit démontrer que son droit est apparent, que le préjudice qu’il subira est irréparable et que la balance des inconvénients penche en sa faveur. En l’espèce, DJL n’a pas convaincu le tribunal de ces trois éléments. Notons par exemple que l’appréciation du préjudice irréparable aurait pu être affectée par le fait que la décision du MTQ se limite à certains types de contrats, et DJL conserve donc la possibilité de soumissionner pour d’autres types de travaux qui relèvent d’autres champs d’activité.

 

Notons, parmi les motifs du tribunal, qu’un requérant doit présenter une preuve suffisamment précise pour fonder un argument d’absence d’équité. Par ailleurs, la décision de confirmer l’évaluation n’a pas besoin d’être motivée, ce qui peut rendre la démonstration du caractère déraisonnable de la décision plus difficile. Enfin, le requérant doit démontrer qu’un nombre important de contrats avec l’organisme public ont été perdus ou seront perdus.

 

Ainsi, même s’il s’agit d’une décision intérimaire et que le fond du dossier reste toujours à être plaidé, la décision augure mal pour le demandeur qui n’obtient pas le sursis. En effet, l’article 8 du Règlement prévoit que l’évaluation de rendement insatisfaisant n’a d’effet que pour deux ans. L’intérêt de contester sur le fond devient donc moindre, puisque l’obtention d’un jugement sur le fond risque fort bien de prendre plus de deux ans, et qu’il est presque impossible de démontrer le préjudice que l’entreprise subit pendant cette période.

 

Vu ce qui précède, les évaluations de rendement peuvent, dans la mesure où il y a abus de la part de l’évaluateur, placer les entrepreneurs en construction dans une situation délicate. Les entrepreneurs devraient donc être particulièrement vigilants dans le cadre des échanges qu’ils ont avec leurs vis-à-vis afin de répondre aux reproches qui pourront leur être formulés durant toute la durée du chantier, surtout s’ils jugent ces reproches non fondés. Il sera dès lors plus facile de remettre en question les évaluations négatives, et même éventuellement les décisions confirmant les évaluations négatives, afin d’éviter d’avoir son dossier taché pendant deux ans.

 

1. RLRQ c. C-65.1.

2. Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics, 2012, chapitre 25.

3. Décret 1105-2013, 30 octobre 2013.

4. RLRQ c. C-65.1, r 5.

5. 2014 QCCS 3052.


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Patrick Garon-Sayegh au 514-871-5425 ou par courriel à pgsayegh@millerthomson.com

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 18 juillet 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !