La fibre de carbone, écologique mais non sans risque

20 août 2014
Par Mathieu Fleury, architecte, P.A. LEED C+CB*

La question du choix des matériaux est un enjeu de premier ordre dans tout projet d’architecture durable et saine. Dans la recherche de solutions aux enjeux environnementaux contemporains, les entreprises manufacturière de matériaux de construction tentent sans cesse d’améliorer leurs produits et de développer de nouveaux matériaux novateurs, à empreinte environnementale réduite. Depuis quelques temps, de nouveaux matériaux de construction composites, contenant des fibres de carbone, font leur apparition sur le marché. Quels sont les caractéristiques de ces matériaux, leurs avantages et inconvénients, et qu’est-ce que la fibre de carbone ?

 

Cette dernière est issue d’une fabrication industrielle et est constituée essentiellement d’atomes de carbone. Elle prend la forme de fibres extrêmement fines (de 5 à 15 micromètres). Elle est de faible densité (légère) et possède une excellente résistance tant à la traction qu’à la compression : elle peut être jusqu’à cinq fois plus résistante que l’acier tout en ayant seulement le tiers de son poids. Chimiquement, elle est inerte (sauf à l’oxydation), ce qui en fait un matériau particulièrement stable.

 

Fabriquée de manière industrielle, elle est le résultat de l’oxydation de composés chimiques, essentiellement des polyacrylonitriles, qui sont chauffés à haute température pour obtenir la fibre. Déjà utilisée dans les industries aérospatiale, médicale, militaire et sportive, elle fait maintenant son apparition dans l’industrie de la construction. Quoi que toujours marginaux, les usages les plus répandus comprennent essentiellement le renforcement des structures, tant de béton et d’acier que de bois.

 

Ces nombreuses propriétés en font un matériau qui présente certains avantages au niveau environnemental. Par exemple, elle peut être utilisée en remplacement de l’acier d’armature dans les structures de béton. Les fibres de carbone nécessitant beaucoup moins d’énergie à fabriquer et à transporter que l’acier, l’utilisation de celles-ci permet de réduire significativement l’énergie grise contenue dans ce type de structure. Elle peut également être utilisée dans des projets de rénovation/transformation pour solidifier des structures existantes. De ce fait, elle peut contribuer à prolonger la vie des infrastructures et des bâtiments afin d’éviter des activités de démolition/reconstruction et leurs impacts sur l’environnement.

 

Un des aspects de la fibre de carbone auquel les concepteurs doivent être particulièrement vigilants est que, sous une forme particulière, appelée « nanotubes de carbone », sa structure se rapproche de celle de l’amiante. Les nanotubes de carbone sont une forme extrêmement fine de la fibre qui peut être inhalée par l’humain et se loger dans les poumons. Tout comme l’amiante, le corps humain est incapable de rejeter le produit et, avec le temps, sa présence persistante pourrait entrainer le développement de certaines maladies graves dont le cancer. La fibre de carbone a fait l’objet de nombreuses études toxicologiques depuis la décennie 1980, dont certaines1 tendent à démontrer sa dangerosité pour la santé humaine. Il est important pour l’ensemble des intervenants de l’industrie de la construction de comprendre cet aspect du produit afin d’éviter la mise en œuvre de matériaux présentant des risques sérieux pour la santé humaine.

 

La toxicité des matériaux fibreux dépend de deux caractéristiques : leur forme et leur dimensions ainsi que leur chimie de surface. L’amiante est particulièrement dangereuse car elle est constituée de fibres extrêmement fines dont la forme est semblable à celle d’une micro-aiguille. Lorsqu’elles sont inhalées, les fibres d’amiantes restent prises dans les poumons et entraînent des maladies graves, souvent mortelles. La fibre de carbone, de son coté, peut être manufacturée dans une grande variété de dimensions. Un diamètre large et un faible ratio longueur/largeur (forme s’éloignant de l’aiguille) sont des caractéristiques de formes sécuritaires de fibre de carbone. Les nanotubes de carbone, de leur côté, ont parfois une forme et des proportions se rapprochant de l’amiante et il s’agit du produit qui soulève des inquiétudes dans les études toxicologiques. La chimie de surface des fibres de carbone peut être modifiée afin de rendre celles-ci plus sécuritaires.

 

Certains enduits à base de nanotubes de carbone subissent un traitement chimique dans le but de permettre une meilleure adhérence entre l’enduit et les autres matériaux, par exemple le bois. Ce processus chimique rendrait les nanotubes « glissants » et donc moins risqués pour la santé, le corps étant ainsi capable de les expulser. En connaissant les dimensions des fibres de carbone entrant dans la composition d’un matériau donné, et en étant informé au sujet des traitements chimiques effectués, les intervenants de l’industrie de la construction peuvent être en mesure de déterminer si un produit présente des risques ou non.

 

Dans la perspective du cycle de vie complet des fibres de carbone, il est peu probable que celles-ci soient risquées dans la phase utilisation. Généralement, au sein d’une construction, les fibres sont encapsulées dans une structure ou en enduit, donc ne sont pas volatiles et ne présentent que peu de risques pour la santé. Lors de la phase de fabrication de ces produits, les travailleurs peuvent inhaler des fibres si un équipement de sécurité approprié n’est pas utilisé. À noter qu’il s’agit d’une préoccupation uniquement si les fibres sont sous une forme présentant des risques.

 

L’usage de la fibre de carbone étant relativement récent dans l’industrie de la construction, il est difficile de trouver de l’information sur la fin de vie de ces matériaux. Sont-ils recyclables ? Peut-on en disposer de manière sécuritaire ? S’ils sont broyés, est-ce que les dimensions des fibres seront réduites et un produit dangereux sera créé ? Il s’agit de questions qui doivent faire l’objet d’une attention sérieuse de la part de l’industrie afin d’utiliser ces matériaux prometteurs de manière intelligente, appropriée et sécuritaire.

 

1. Carbon nanotubes introduced into the abdominal cavity of mice show asbestos-like pathogenicity in a pilot study

 


L’auteur est architecte pour la firme Vachon & Roy, à Gaspé :mfleury@vachonroyarchitectes.com.

Conseil du bâtiment durable du Canada - section du Québec

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 31 juillet 2014  du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !