Formalités et étendue du cautionnement

25 janvier 2016
Me Anik Pierre-Louis, avocate chez Miller Thomson

En matière de contrat de cautionnement, le créancier se doit de respecter à la lettre le formalisme prévu par les clauses du contrat pour pouvoir se faire indemniser par la caution.

Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles qu’il serait possible de justifier la suffisance d’une seule demande de paiement malgré la modification de la réclamation au fil du temps. Voyons plus en détail les faits et conclusions de la Cour d’appel dans une affaire récente.

 

Les faits


À l’été 2010, AC Construction contracte avec le ministère des Transports pour effectuer des travaux de réparation sur une bretelle de l’échangeur Turcot. L’Unique Assurances générales inc. (« L’Unique ») souscrit alors un contrat de cautionnement pour gages, matériaux et services rendus par AC Construction. Pour réaliser le contrat, AC Construction loue d’Échafauds Plus Laval (« EPL ») des équipements d’échafaudage. AC Construction s’était ainsi engagée à en payer le prix de location et à les retourner à la fin du bail, le 7 septembre 2011.

 

En cours d’exécution du contrat, soit au printemps 2011, AC Construction est en défaut de payer les coûts de location à EPL qui s’élèvent alors à 134 703,29 $. EPL envoie une mise en demeure à AC Construction ainsi qu’une demande de paiement à L’Unique. Quelques jours après, EPL intente un recours devant la Cour supérieure en demandant à ce qu’AC Construction et L’Unique soient solidairement condamnées à lui payer les montants dus.

 

À l’été 2011, AC Construction, L’Unique et EPL conviennent d’une transaction comportant le paiement partiel immédiat (60 000 $) à EPL par AC Construction et un engagement par cette dernière à payer le solde dû au plus tard le 15 août 2011, ainsi qu’à retourner les équipements loués. Cette transaction ne règle toutefois pas tous les problèmes. En effet, EPL se réserve le droit de réclamer les sommes additionnelles de location pour les équipements qui se trouvent toujours sur le chantier et utilisés depuis le mois de mai 2011. Malgré cette entente, AC Construction ne paiera pas et ne retournera pas les équipements loués, ce qui poussera EPL à aller de l’avant avec son recours.

 

La décision


La Cour d’appel fait la distinction entre les coûts de location impayés et la valeur des équipements non retournés. Tout d’abord, la Cour rappelle que le cautionnement ne se présume pas et doit être exprès. De plus, il s’étend à tous les accessoires liés à la dette. Toutefois, « il ne peut être étendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ». Le texte même du cautionnement doit être examiné afin de pouvoir déterminer son étendue. En l’occurrence, le cautionnement prévoit que L’Unique s’engage à payer directement les créanciers du projet de réfection qui ont notamment loué du matériel exclusivement utilisé pour ce projet.

 

En d’autres termes, la Cour souligne que le cautionnement assure le ministère des Transports que les ouvriers, sous-entrepreneurs et fournisseurs seront payés pour les services rendus. Cependant, « il ne couvre pas les dommages encourus par les ouvriers, sous-traitants ou fournisseurs pour la perte de leurs équipements à la suite d’un bris, d’un détournement ou pour toute autre raison ».

 

Ainsi, le fait que AC Construction n’ait pas retourné les équipements constitue un dommage qui n’est pas un accessoire du coût de location et donc n’est pas couvert par le contrat de cautionnement. Il s’agit plutôt d’un dommage qui relèverait d’un contrat d’assurance de biens et non de ce contrat de cautionnement pour gages, matériaux et services, tel que rédigé. Ensuite, la Cour est appelée à décider de la suffisance des avis de réclamation de EPL à L’Unique.

 

Le contrat de cautionnement prévoit à la clause 4 que le créancier doit adresser à l’entrepreneur de même qu’à la caution « une demande de paiement dans les 120 jours suivant la date à laquelle il a terminé ses travaux ou fourni les derniers services, matériaux ou matériel. »


Dans les faits, EPL a effectué une demande de paiement au printemps 2011 auprès de L’Unique, puis elle a entamé son recours devant les tribunaux. En septembre 2011, EPL a amendé ses procédures mais n’a toutefois pas transmis une seconde demande de paiement à L’Unique avant de ce faire. L’Unique tentait de faire valoir que le défaut de EPL de lui avoir transmis une seconde demande conformément à la clause 4 du cautionnement fait échec à son recours. Notons qu’elle n’a pas à démontrer qu’elle subit un préjudice à cause du prétendu manquement au formalisme prévu au contrat et que le simple non-respect des formalités prévues à un contrat de cautionnement est généralement fatal à toute réclamation par le créancier.

 

Malgré ce principe, la Cour d’appel conclut que, dans les circonstances particulières de l’affaire, EPL avait valablement et suffisamment transmis à L’Unique sa demande de paiement. En effet, L’Unique avait reçu la demande au printemps 2011. Elle était également bien au fait des termes de la transaction intervenue en juillet 2011 où EPL se réservait le droit de réclamer les coûts futurs de location des équipements. EPL, par l’amendement à sa procédure, n’a fait qu’exercer les droits qu’elle s’était réservés lors de la transaction, soit de réclamer les coûts de location impayés.

 

Conclusion


Cette décision nous rappelle la nécessité de suivre à la lettre le formalisme requis par le contrat de cautionnement. Dans le doute quant à la suffisance d’un avis transmis à la caution, le créancier devrait préconiser l’envoi d’un avis supplémentaire lorsque sa réclamation est modifiée dans le temps, pour éviter de se retrouver dans la délicate situation où il doit s’en remettre au tribunal pour apprécier les faits particuliers qui démontreraient qu’il s’est suffisamment conformé au formalisme autrement requis.

 

Quant à l’étendue des obligations de la caution, seule la dette et ses accessoires, tels que décrits par le texte du contrat de cautionnement, sont couverts et payables au bénéfice du créancier.

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Anik Pierre-Louis au 514 871-5372 ou par courriel à apierrelouis@millerthomson.com

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 10 décembre 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !