Injonction pour ordonner le sursis d’une décision

2 juin 2016
Par Me Antonio Iacovelli

Le 5 novembre 2015, nous vous relations le cas de Constructions Lavacon inc. c. Icanda Corporation. C’est un dossier où la Cour supérieure a accueilli la demande d’injonction de l'entrepreneur général qui cherchait à obliger son sous-traitant à réintégrer le chantier. 

Le sous-traitant avait quitté le chantier en raison d’une dispute quant au paiement d'une somme d'argent. La somme en litige était infime relativement à la valeur du projet dont la réalisation était mise en péril par les agissements du sous-traitant dont l’apport au projet était crucial.


L’injonction, avec ses critères d'application sévères, est rarement plaidée avec succès dans des litiges du domaine de la construction. Cependant, la cause Icanda nous démontre qu'il y a tout de même des circonstances qui donnent ouverture à l'emploi de l'injonction comme véhicule procédural pour mettre fin à une impasse sur un chantier de construction en cours d'exécution.


Tout dernièrement, nous avons de nouveau eu l'occasion de voir l'injonction appliquée dans le domaine de la construction mais cette fois avant même que le chantier n’ait débuté. Les recours ont été pris par deux soumissionnaires à la suite d’un appel d'offres lancé par la Ville de Montréal. Les soumissionnaires ont cherché à empêcher l'adjudication de contrats à des compétiteurs. Ce sont les dossiers Construction Bau-Val inc. c. Ville de Montréal, 2016 QCCS 1185 et Demix Construction c. Ville de Montréal, 2016 QCCS 1183, tous deux entendus la même journée par la Cour supérieure et dont les jugements ont tous deux été rendus le 21 mars 2016.


Les faits

Le 16 décembre 2015, la Ville de Montréal (la « Ville ») lance un appel d’offres public pour divers contrats de travaux de voirie.


L'une des clauses de l'appel d'offres prévoit que le soumissionnaire doit avoir exécuté au cours des cinq années précédentes au moins deux contrats de même nature et d’une valeur d'au moins 10 000 000 $ en coûts des travaux. La clause en question prévoit aussi que, pour chaque contrat exécuté, le soumissionnaire doit indiquer l’année de réalisation, la description de la nature des travaux, le nom de la rue et de la municipalité, la valeur du contrat, le nom de l’ingénieur responsable de la surveillance des travaux et ses coordonnées.


La Ville cherche essentiellement à vérifier le niveau d’expérience du soumissionnaire dans des contrats similaires d’envergure.


Or, tant Demix Construction (« Demix ») que Construction Bau-Val inc. (« Bau-Val ») mettent leurs lumières respectives sous le boisseau en omettant toutes deux d’indiquer toute l’information reliée à leur importante expérience dans des projets similaires à ceux faisant l’objet de l’appel d’offres.


En effet, l’expérience et l’expertise tant de Demix que de Bau-Val sont connues et reconnues de la Ville, mais celle-ci a écarté leurs soumissions respectives en les jugeant non conformes à la clause portant sur l’expérience précédente. 


À quelques jours de la réunion du conseil municipal de la Ville lors de laquelle les contrats devaient être attribués à des compétiteurs, Demix et Bau-Val déposent chacune des demandes d’injonction afin que le tribunal ordonne à la Ville de surseoir sa prise de décision quant à l’attribution des contrats à des compétiteurs plus chers.


La décision du tribunal

La cour doit déterminer si les défauts de Demix et de Bau-Val de fournir toutes les informations reliées à leur expérience sont des irrégularités majeures qui font échec à leurs soumissions respectives ou s’il s’agit d’irrégularités mineures que la Ville pourrait régulariser ou mettre de côté.


Le tribunal considère que le critère de l’urgence est réuni du fait que la Ville allait prendre sa décision le jour même du jugement intervenu.


La Ville plaide son obligation de traiter tous les soumissionnaires sur un pied d’égalité quant à la clause portant sur l’expérience et évoque un « carcan juridique » imposé par cette disposition.

Le tribunal, quant à lui, s’interroge sur la question de savoir si le carcan dont parle la Ville doit nécessairement devenir une « camisole de force » sans distinction de ce qui est dans l’intérêt de la Ville et de ses citoyens. Il note que les clauses de l’appel d’offres semblent offrir à la Ville une certaine flexibilité pour demander à un soumissionnaire de compléter sa soumission. 


Le tribunal est donc d’avis que Demix et Bau-Val ont une apparence de droit possible et que la balance des inconvénients d’une injonction prononcée par la cour penche en leur faveur.

Le tribunal tient aussi compte du fait qu’en l’absence d’injonction immédiate de sa part pour arrêter le processus décisionnel de la Ville, les soumissionnaires subiront un préjudice sérieux ou irréparable.


Ainsi, le tribunal accueille les demandes d’injonction provisoire présentées par Bau-Val et Demix et ordonne à la Ville de surseoir à sa prise de décision de l’attribution de contrats relatifs à l’appel d’offres prévue pour le 21 mars 2016.

 

Le 15 avril 2016, les parties ont été entendues au mérite par l’honorable juge Anne Jacob de la Cour supérieure, laquelle a pris le tout en délibéré. Une décision devrait être rendue au plus tard le 15 juin prochain.

 

Pour toute question, vous pouvez joindre Me Antonio Iacovelli au 514 871-5435.

 

Cet article est paru dans l’édition du mardi 26 avril 2016 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !