Irrégularité mineure, discrétion municipale et bonne foi

8 septembre 2014
Par Me Patrick Garon-Sayegh

En matière d’appels d’offres et de litiges entre, d’une part, des soumissionnaires s’estimant lésés à cause du rejet de leur soumission et, d’autre part, des donneurs d’ouvrage publics, deux principes fondamentaux refont constamment surface.

 

Le premier principe, clef de voûte des appels d’offres, est celui de l’octroi du contrat au plus bas soumissionnaire conforme. Le deuxième principe est le respect de l’égalité entre les soumissionnaires.

 

Ces deux principes servent à la fois la collectivité et les soumissionnaires qui participent au processus d’appel d’offres. D’une part, la collectivité est servie car elle est en principe assurée d’avoir le meilleur prix possible pour des ouvrages et services. D’autre part, les soumissionnaires sont servis car ces deux principes rendent le processus d’appel d’offres plus prévisible, juste et équitable.

 

Irrégularité majeure vs mineure

La jurisprudence abonde d’exemples de rejets de soumissions pour non-conformité aux documents d’appels d’offres. De manière très générale, on peut diviser les soumissions non conformes en deux catégories : (i) celles contenant des irrégularités majeures, et (ii) celles contenant des irrégularités mineures.

 

Le droit est assez clair à l’effet qu’une irrégularité majeure entraîne le rejet automatique de la soumission ; le donneur d’ouvrage n’a en principe aucune discrétion à cet égard1.

 

Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une irrégularité mineure, la question devient plus complexe. Évidemment, il faut d’abord que l’irrégularité puisse être qualifiée comme étant mineure.  Ensuite, s’il s’agit réellement d’une irrégularité mineure, la jurisprudence est à l’effet que le donneur d’ouvrage a en principe une certaine discrétion, et qu’il peut soit (i) permettre la correction de l’irrégularité ou (ii) rejeter la soumission.

 

En d’autres mots, le donneur d’ouvrage n’est pas obligé de permettre la correction. Il est cependant fondamental que le donneur d’ouvrage exerce sa discrétion de bonne foi, d’une manière qui n’enfreint pas le principe de l’égalité entre les soumissionnaires2.

 

Illustration

La décision dans l’affaire Construction Marieville inc. c. Sainte-Julie (Ville de)3 illustre bien le principe à l’effet qu’une municipalité qui rejette une soumission contenant une irrégularité mineure ne commet pas de faute, pourvu que le rejet soit fait de bonne foi et dans le respect de l’égalité entre les soumissionnaires.

 

Dans cette affaire, Construction Marieville (ci-après la « Demanderesse ») poursuivait la Ville de Sainte-Julie (ci-après la « Défenderesse ») pour avoir rejeté sa soumission. La Demanderesse plaidait essentiellement deux arguments. D’une part, la Demanderesse plaidait que les documents de l’appel d’offres étaient ambigus, et que compte tenu cette ambiguïté, sa soumission devait être considérée conforme. D’autre part, la Demanderesse plaidait que si sa soumission contenait bel et bien une irrégularité, il s’agissait d’une irrégularité mineure que la ville Défenderesse aurait dû lui permettre de corriger. De son côté, la municipalité plaidait que les documents d’appel d’offres étaient clairs, que l’irrégularité était importante, et qu’elle n’a pas commis de faute.

 

La soumission de la Demanderesse a été rejetée parce qu’elle n’était pas accompagnée d’une lettre d’intention d’une compagnie d’assurance fournissant des cautionnements égaux à 100 % de la valeur de la soumission. La Demanderesse avait plutôt fourni une lettre d’intention indiquant des cautionnements de 50 % de la valeur de la soumission.

 

L’origine de cette irrégularité peut être expliquée comme suit. Les documents d’appel d’offres référaient aux Devis généraux normalisés du Bureau de normalisation du Québec, et précisaient que ces Devis généraux normalisés faisaient partie intégrante de l’appel d’offres. Les Devis généraux normalisés exigeaient l’utilisation d’un formulaire de soumission obligatoire pour être conforme, et ce formulaire stipulait qu’il fallait des lettres d’intention pour 50 % de la valeur de la soumission.

 

Dans ses motifs, le Tribunal rejette d’abord l’argument de l’ambiguïté des documents. Les Devis généraux normalisés avisent le lecteur que « certaines clauses du présent devis peuvent être complétées, modifiées ou annulées par d’autres documents », et le formulaire joint comporte la mention « EXEMPLE ». Ensuite, l’article 5 de l’Avis aux soumissionnaires fait référence au formulaire tout en indiquant clairement que les cautionnements doivent représenter 100 % de la valeur de la soumission.

 

De plus, un addenda réitère l’obligation d’inclure une lettre d’intention pour des cautionnements égaux à 100 % de la valeur de la soumission. Le Tribunal est donc d’avis qu’il n’y a pas d’ambiguïté et que le formulaire servant d’exemple est clairement modifié par ces autres mentions.

 

En ce qui concerne l’erreur elle-même, le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une erreur cléricale mineure, et que la ville Défenderesse aurait pu permettre sa correction. Toutefois, la Défenderesse avait obtenu deux opinions juridiques à l’effet que la lettre d’intention fournie n’était pas conforme, et rien dans la preuve ne démontre qu’elle a agi de mauvaise foi ou violé l’égalité entre les soumissionnaires. Le Tribunal rejette donc le recours.

 

Conclusion

On voit donc qu’une non-conformité mineure peut avoir de sérieuses conséquences pour le soumissionnaire, qui pourrait se voir refuser la possibilité de faire une correction et sa soumission rejetée. En principe, si le donneur d’ouvrage est de bonne foi et ne viole pas l’égalité entre les soumissionnaires, un recours aurait peu de chances de succès. Voilà donc une bonne raison de relire attentivement une soumission avant de la déposer !

 

1. Voir R.P.M. Tech Inc. c. Gaspé (Ville), 2004 CanLII 20541 (QC CA), au para. 27; voir aussi Rimouski (Ville de) c. Structures GB ltée, 2010 QCCA 219 [Rimouski].

2. Voir Rimouski, supra note 1; voir aussi infra note 3, aux paragraphes 23 et 24.

3. 2014 QCCS 686.


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Patrick Garon-Sayegh au 514-871-5425 ou par courriel à pgsayegh@millerthomson.com

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 19 août 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !