L’erreur excusable et l’appel d’offres

3 octobre 2012
Par Me Patrick Garon-Sayegh

L’erreur est humaine, on le sait bien ; à un point tel que notre législateur a prévu des règles précises pour nous guider lorsqu’elle survient en matière de contrats.

Le Code civil du Québec nous dit que le consentement à un contrat « doit être libre et éclairé » [1]. C’est une condition sine qua non à la conclusion d’un contrat valide. Si le consentement d’une partie n’était pas libre et éclairé – ou « vicié » – lors de la conclusion du contrat, cette partie « a le droit de demander la nullité du contrat » [2]. La nullité est une chose sérieuse, car le « contrat frappé de nullité est réputé n'avoir jamais existé » [3].

 

L’erreur d’une partie au contrat « vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes » [4]. Mais encore faut-il que l’erreur « porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement ». Par ailleurs, il faut aussi que l’erreur ne soit pas une « erreur inexcusable » [5].

 

Le contractant qui estime avoir été en erreur lorsqu’il a conclu un contrat doit démontrer au tribunal : (1) qu’il a commis une erreur, (2) que celle-ci porte sur un élément essentiel du contrat, et (3) qu’elle est « excusable ». Le cocontractant qui s’oppose à la demande doit tenter de démontrer l’inverse, soit en niant l’existence de l’erreur, sa portée, ou son caractère inexcusable.

 

La récente décision de la Cour supérieure dans l’affaire C. & G. Fortin inc. c. Société immobilière du Québec [6] illustre bien comment ces principes peuvent s’appliquer dans le cadre d’un appel d’offres.

 

Les faits

La demanderesse C. & G. Fortin (« Fortin ») répond à un appel d’offres publié par la défenderesse, la Société immobilière du Québec (« SIQ »), mais réalise par la suite que sa soumission comporte une erreur. Fortin n’avait pris en compte qu’une seule section du devis technique, et a ignoré les deux autres.

 

Fortin réalise son erreur trop tard, soit après l’ouverture des soumissions. La soumission de Fortin, rédigée sur un formulaire de la SIQ, prévoit qu’une soumission demeure irrévocable pour une période de 45 jours à compter de la date limite de réception des soumissions. Par ailleurs, la SIQ confirme à Fortin qu’elle a remporté l’appel d’offres le jour même de l’ouverture des soumissions. Fortin est donc coincée. Elle tente de se sortir de l’embarras en envoyant une lettre à la SIQ, précisant qu’elle ne s’engage qu’à réaliser les travaux relatifs à la section du devis qu’elle a pris en compte dans sa soumission. La SIQ considère que Fortin refuse de respecter sa soumission, accorde le contrat au deuxième plus bas soumissionnaire, et réclame la différence entre les deux soumissions, soit 160 112 $. Fortin se tourne donc vers la Cour supérieure pour faire déclarer le contrat nul.

 

Le jugement

La Cour sépare son analyse en trois questions. Premièrement, Fortin a-t-elle commis une erreur ? Deuxièmement, si Fortin a commis une erreur, est-elle inexcusable ? Troisièmement, la SIQ a-t-elle pu constater l’erreur de Fortin à l’ouverture des soumissions et, si oui, quelle en est la conséquence ?

 

Sur la première question, le président de Fortin témoigne à l’effet que l’estimateur de l’entreprise croyait qu’il était possible de proposer un prix portant uniquement sur une des trois sections du devis technique. La Cour juge le témoignage crédible et qu’il n’a pas été contredit. En conséquence, il y a eu une erreur qui « porte clairement sur l’objet de la prestation » [7].

 

La Cour juge toutefois que cette erreur est inexcusable, car « une lecture le moindrement attentive du devis » aurait corrigé toute fausse impression ou confusion. Par ailleurs, Fortin savait que les travaux allaient inclure toutes les sections du devis ; son erreur était de croire qu’elle pouvait fournir un prix pour une seule section. « Un seul coup de fil » aurait permis à Fortin de clarifier la situation et, en plus, aucun représentant de Fortin ne s’est présenté à la séance d’information tenue par la SIQ avant le dépôt des soumissions.

 

L’erreur de Fortin est donc inexcusable aux yeux de la Cour, mais cette dernière juge aussi que la SIQ a voulu, de mauvaise foi, en tirer avantage. En effet, la SIQ s’est empressée d’accepter la soumission sans exiger le respect de certaines clauses de l’appel d’offres qui, si respectées, auraient révélé l’erreur. L’empressement de la SIQ d’accepter la soumission, le jour même son ouverture, permet à la Cour de conclure que la SIQ « voulait tirer avantage d’un prix anormalement bas pouvant laisser entrevoir une erreur de son auteur » [8].

 

La Cour déclare donc le contrat nul.

 

Remarques

La jurisprudence est claire depuis des années à l’effet qu’une erreur sur le prix d’une soumission ne constitue pas une erreur excusable justifiant l’annulation du contrat. Le soumissionnaire doit assumer son erreur sur ce plan, à moins que l’erreur ne soit apparente à la face même du contrat, ce qui est rarement le cas lorsqu’il s’agit seulement d’un prix beaucoup plus bas que les autres.

 

La décision que nous venons d’examiner apporte donc une nuance importante : une erreur sur la portée du contrat, plutôt que juste le prix, peut être un motif suffisant d’annulation. Toutefois, on ne s’attend normalement pas, lors d’appels d’offres, à voir des erreurs si graves dans les soumissions. En effet, la nature du processus fait en sorte que lorsqu’une partie publie un appel d’offres et que l’autre partie y répond, les deux ont en tête un portrait assez clair de leurs engagements respectifs.

 

Il faut donc toujours être très prudent lorsque vient le temps de déposer une soumission. Les documents d’appel d’offres doivent être examinés attentivement et, lorsqu’il est dans le doute ou que les documents sont ambigus, le soumissionnaire a l’obligation de s’informer auprès du donneur d’ouvrage [9]. La mauvaise foi du donneur d’ouvrage ne pourra pas toujours servir d’excuse !

 


Pour toute question ou commentaire, vous pouvez joindre Me Patrick Garon-Sayegh à pgsayegh@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5425.

 

1. Art. 1399 C.c.Q.

2. Art. 1407 C.c.Q.

3. Art. 1422 C.c.Q.

4. Art. 1401 C.c.Q.

5. Art. 1400 C.c.Q.

6. 2012 QCCS 3522.

7. Ibid. au para. 29.

8. Ibid. au para. 54.

9. Ibid. au para. 34.

 

Miller Thomson avocats

 


Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 2 octobre 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !