Les limites juridiques des documents explicatifs de la RBQ

15 juin 2015
Par Me Benoit Byette

La Régie du bâtiment du Québec (« RBQ ») est un organisme ayant pour but, notamment, de s’assurer de la qualification professionnelle des entrepreneurs.

Dans ce contexte, la Loi sur le bâtiment1 prévoit, à son article 185, que la RBQ peut, par règlement, établir des catégories et des sous-catégories de licences.

 

La RBQ publie également des documents explicatifs, tels les extraits du profil des compétences, des guides et des lexiques. Ces documents donnent notamment des explications et des exemples sur les travaux qui peuvent être réalisés par un entrepreneur détenant telle ou telle licence. Ces documents sont évidemment fort utiles.

 

Toutefois, la Cour supérieure a récemment rappelé que, « bien qu’utiles pour le public, ils [ces documents explicatifs] n’ont aucune valeur réglementaire ni contraignante »2. Ainsi, le contenu de ces documents explicatifs ne peut modifier les droits prévus à la licence émise en faveur d’un entrepreneur.

 

Les faits

Construction TRB inc. (« TRB ») a déposé une soumission dans le cadre d’un appel d’offres public émis par le ministère des Transports du Québec (le « MTQ ») afin de réaliser la construction d’un ponceau dans la municipalité de Val-David. La soumission de TRB, au montant de 1 094 688,10 $, bien qu’elle soit la plus basse, est rejetée par le MTQ puisque jugée non conforme.

 

En effet, le MTQ considère que TRB ne possède pas la licence de construction appropriée lui permettant de réaliser les travaux prévus à l’appel d’offres. Selon le MTQ, l’entreprise qui fera les travaux doit détenir une licence d’entrepreneur général de la sous-catégorie 1.5 (Entrepreneur en structures d’ouvrages de génie civil) (la « licence 1.5 »), alors que TRB détient une licence d’entrepreneur général de la sous-catégorie 1.4 (Entrepreneur en routes et canalisation) (la « licence 1.4 »).

 

À la suite du rejet de sa soumission, TRB intente des procédures judicaires contre le MTQ lui réclamant des dommages au montant de 332 773,68 $ représentant les frais généraux et profits ainsi que les coûts d’estimation du projet.

 

Dans l’analyse des soumissions, le MTQ a requis l’opinion des représentants de la RBQ sur la licence nécessaire afin de procéder aux travaux visés par l’appel d’offres.

 

Le droit

En premier lieu, la Cour supérieure se penche sur la portée juridique qui doit être accordée à l’opinion des représentants de la RBQ ainsi qu’aux documents explicatifs (profil de compétences, guides et lexiques) émis par cette dernière. Se basant sur une décision de la Cour d’appel3 rendue en 2011, la Cour supérieure rappelle que les opinions des représentants de la RBQ sont non contraignantes dans le cadre de l’analyse que doit faire le Tribunal afin de déterminer quelle est la licence requise pour effectuer les travaux.

 

De plus, les documents explicatifs préparés par la RBQ semblent limiter la portée de la licence détenue par TRB, soit la licence 1.4, à la construction de ponceaux d’une dimension inférieure à ceux visés par l’appel d’offres. La Cour supérieure conclut que ces documents n’ont aucune valeur réglementaire ni contraignante et il appartient donc à la Cour de déterminer si la licence détenue par TRB lui permet d’effectuer les travaux visés à l’appel d’offres.

 

Après analyse des conditions d’admissibilité des entrepreneurs aux termes des documents d’appel d’offres ainsi que les différents articles du Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires4, la Cour supérieure rappelle l’importance pour l’entrepreneur de détenir la licence appropriée puisque le défaut de ce faire constitue une irrégularité majeure qui vicie la soumission. Afin de déterminer la licence requise, la Cour supérieure indique que c'est l’objet du contrat qui déterminera la catégorie de licence appropriée.

 

La Cour rappelle également qu’il est possible que deux licences de catégories ou de sous-catégories puissent être appropriées pour effectuer les travaux projetés. En l’espèce, l’analyse des travaux projetés dans les documents d’appel d’offres révèle que certains travaux routiers seront nécessaires alors que d’autres travaux relèvent plutôt de la nature de l’ouvrage de génie civil.

 

La Cour supérieure conclut que tant les entreprises détenant une licence 1.4 que celles détenant une licence 1.5 sont autorisées à effectuer les travaux requis aux documents d’appel d’offres. En effet, les entreprises détenant une licence 1.4 peuvent, à l’occasion de travaux visant la réfection ou la construction d’une route, être appelées à effectuer des travaux relatifs aux ponceaux.

 

La Cour supérieure conclut donc que la soumission de TRB était conforme. Le MTQ a commis une faute en accordant le contrat au deuxième plus bas soumissionnaire.

 

La Cour supérieure rejette l’évaluation de TRB à l’effet que ce contrat lui aurait rapporté un profit de 27 %, soit le montant de 294 773,68 $. Se basant sur les profits obtenus par l’entreprise tels que reflétés aux états financiers de TRB, la Cour supérieure lui accorde un profit net de 2 % sur le coût total du contrat ainsi que des frais d’administration (frais de siège) estimés à 4 % pour un montant total de 64 481,28 $.

 

1. R.L.R.Q., c. B-1.1.

2. Construction TRB inc. c. Québec (Procureur général), 2015 QCCS 1300 (CanLII).

3. Entreprises Marchand & Frères inc. (Excavation Marchand & Fils inc.) c. Société d’énergie de la Baie-James, 500-09-020144-093, 4 juillet 2011 (EYB 2011-192583).

4. R.L.R.Q., c. B-11, r.9.


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Benoit Byette, par téléphone au 514 871-5498 ou par courriel à bbyette@millerthomsonpouliot.com

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 26 mai 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !