Mont-Tremblant : la tradition comme fil conducteur

11 septembre 2013
Par Dominique Lemoine

Poids du passé, devoir de mémoire et souci historique ont influencé depuis le début la réflexion des acteurs du développement de la station Mont-Tremblant, tout comme celle des acteurs du renouveau du début des années 90. En fait, la conception et la construction des bâtiments que l'on y voit aujourd'hui.

 

C’est d’abord le skieur d’élite norvégien Herman Smith Johannsen qui, en 1928 «  découvre les plaisirs de skier dans la vallée de la Diable et sur le Mont-Tremblant », raconte François Huart dans Le Mont-Tremblant a 50 ans – Quand le ski engendre un village, publié dans Cap-aux-Diamants : la revue d'histoire du Québec à l’hiver 1991. Seront ensuite attirés de nombreux skieurs sur les sentiers rustiques, faute de pistes aménagées, parmi les lesquels un jeune millionnaire américain aimera tant l’endroit qu’il décidera de le développer.

 

Dès le début de son projet de station de réputation internationale à la montagne tremblante, Joseph Bondurant Ryan savait que la riche clientèle fréquentant les stations renommées recherchait « exotisme et dépaysement à travers une architecture paysanne et montagnarde, langue étrangère et costumes colorés », selon les notes historiques du propriétaire actuel, Intrawest.

 

Reproduire le charme alpin en Amérique

À la veille de la guerre, son petit doigt lui disait « qu'une station de ski en Amérique du Nord capable de reproduire l'ambiance et le charme propres aux grandes stations des Alpes connaîtrait un vif succès ». Il s'était donné le mandat de bâtir un village québécois typique dans une atmosphère provinciale française.

 

Dès l'été 1941, le millionnaire américain et son épouse Mary Rutherford Ryan construisaient une première chapelle, « réplique exacte de l'une des toutes premières églises construites en Amérique du Nord (1675-1864) », mentionne les notes historiques d’Intrawest.

 

Jean Palardy, expert en patrimoine et meubles québécois avait suggéré au couple, en 1940, d'aller à l'île d'Orléans pour trouver un modèle de chapelle fidèle à la tradition. Dans les archives du village de Saint-Laurent, ils avaient mis la main sur le modèle qui fut recopié par Palardy et un architecte new-yorkais.

 

La chapelle Saint-Bernard avec son plafond en « coque de navire inversée » venait donc compléter le village québécois que Joe Ryan avait commencé à développer depuis 1938 avec une auberge (le Inn), de petits chalets de bois aux couleurs pastel, quelques boutiques et un restaurant.

 

Techniques et matériaux

Joe et Mary Ryan avaient érigé des « bâtiments faits de mortiers, rondins et bois équarri ». Ils avaient décidé de respecter « le caractère architectural des petites fermes des Laurentides », en plus d'enjoliver et d'égayer « leurs constructions de pignons, de petites lucarnes et de tons pastel ». Souci qui restera...

 

Un exemple de technique de construction laurentienne de l'époque : la maison de Guillaume Thibault au lac Duhamel, construite en 1874 et encore debout. Selon le site de la Ville de Mont-Tremblant, pour construire un « carré en pièce sur pièce de 25 pieds » solide, Thibault « a utilisé quatre techniques ».

 

Elles se résument ainsi : « Queues d'aronde sculptées qui favorisaient l'écoulement de l'eau vers l'extérieur, murs inclinés vers l'intérieur comme ceux d'un château de cartes, cinq poutres taillées en fuseau placées pour retenir les murs ayant tendance à ouvrir avec le poids de la neige sur les coyaux du toit, gougeons de bois de deux pouces de diamètre insérés pour éviter que les pièces du haut basculent avec le poids de la neige. »

 

 Le village du Mont-Tremblant à ses débuts.

Selon un autre document d’Intrawest, parmi les « matériaux indigènes et détails inspirés de l'architecture traditionnelle des Laurentides » réutilisés dans des bâtiments modernes, on trouve : billots de bois, planches de bois rugueux, pierre des champs, stuc, toits très inclinés, balcons, vérandas, lucarnes, portes d'entrée fortement lambrissées, garnitures de fer forgé et couleurs aux tons naturels accentués.

 

Au chapitre des infrastructures, c’est vers la fin de 1938 que « la montagne se transforme en un immense chantier ; Johannsen et de nombreux hommes tracent plusieurs pistes et la plupart des francophones s'y trouvent du travail », explique François Huart. Une première remontée mécanique permanente conçue pour les skieurs a fait son apparition au Mont-Tremblant en 1939. Dans la même décennie que la première en Amérique (Idaho).

 

Poursuite de la tradition architecturale avec Intrawest

Après avoir acquis en 1991 une station inaugurée en 1939, Intrawest confie la transformation d'une « station en état lamentable » à Roger McCarthy, responsable des ressources humaines à Blackcomb. Transformation dont l'architecture sera inspirée par une tournée et visite en décembre 1991 de 16 stations touristiques, villages et montagnes de cinq pays (Amérique et Europe) en neuf jours. 

 

Un an plus tard, un plan directeur est élaboré avec l'architecte californien spécialiste des stations de ski, Eldon Beck et les travaux débutent en 1993. « Ce plan voulait que chaque nouvelle construction s'inspire de la tradition campagnarde québécoise et de l'architecture montagnarde contemporaine. »

 

Travaux contemporains

Le Vieux-Tremblant a été conçu en conservant et en rassemblant des bâtiments originaux de Joe Ryan, surtout les maisonnettes de bois et mortier. La résidence des Ryan a été transformée en café. « Autrefois situé au pied des pentes, le Chalet de voyageurs a été déménagé à son emplacement actuel en 1993 pour créer la Place St-Bernard, en se faisant rouler sur des billots de bois », disent les notes historiques.

 

Construction Cogela, entrepreneur général, en revendique la délocalisation sur 500 mètres, rénovation, agrandissement, assise sur de nouvelles fondations et ajout d'un étage, en collaboration avec Smith et Koenka, architectes. Marc Lavoie, ingénieur et président de Cogela, affirme que le défi dans ce projet était de descendre le large bâtiment sur une bonne distance malgré un important dénivelé.

 

Cogela était aussi responsable de la construction du Westin Resort en 1999-2000. Dans ce projet de bâtiment devant être incombustible, le souci esthétique des Ryan a été générateur d'innovation.

 

Édifice construit en béton armé, c'est pour permettre l'ajout de lucarnes que la toiture a été fabriquée en bois amélioré d'une peinture intumescente (résistante au feu). « Une toiture articulée en acier aurait été beaucoup plus dispendieuse. C'était du jamais vu en ce qui me concerne », dit Marc Lavoie.

 

« Avec ses porches, plazas, enseignes et bâtiments de toutes tailles juxtaposés les uns aux autres, le Centre de villégiature a toutes les caractéristiques d'un village érigé au fil des siècles », mentionnent les notes. Les toitures colorées rappellent la Place Royale dans le Vieux-Québec et le style Empire européen.

 

 

Équipe de projet

Donneur d'ouvrage : Station Mont Tremblant S.E.C.

Entrepreneurs généraux : Pomerleau, Les Constructeurs Laurence, Construction Cogela, Gerpro Construction, Groupe Devlor

Architectes : DCYSM Architecture + Design, Lemay & associés

Architecte paysager : Projet Paysage

Ingénieurs mécanique et électrique : Les Consultants Gemec ; Dupras, Ledoux

Ingénieurs structure : Pasquin St-Jean et associés ; Saia, Deslauriers, Kadanoff

Ingénieurs civils : Marchand, Houle & associés, Groupe Laurence

Design intérieur : PMA Design, Patricia McLintock, PXDI, Patty Xenos

Arpenteurs-géomètres : MPM Murray-Patenaude-Maltais, Barbe et Robidoux

Urbanisme : DAA, Daniel Arbour et associés