13 février 2015
Par Me Anik Pierre-Louis

En matière de conditions de sol imprévues qui surprennent les entrepreneurs, la facture peut rapidement grimper et s'avérer salée. La question de savoir qui, entre le propriétaire ou l'entrepreneur, doit en supporter les coûts dépend alors de plusieurs facteurs.

Par exemple, une clause contractuelle peut prévoir expressément que les coûts liés aux conditions de sol imprévues sont à la charge de l'une ou l'autre partie. Il est aussi possible qu'une étude géotechnique fournie par le propriétaire à l'entrepreneur rende ce dernier responsable d'assumer de tels coûts.

 

C'est ce qui s'est produit dans un dossier récent de la Cour supérieure1. Dans ce cas, le Tribunal a vérifié si les parties avaient toutes deux rempli leurs obligations d'information et de renseignement. L'entrepreneur avait-il tâché d'obtenir toutes les informations pertinentes aux conditions de sol ? Le propriétaire avait-il transmis des données suffisamment détaillées ?

 

Les faits

La Ville de Québec a entrepris de contrôler les débordements des eaux usées vers la rivière Saint-Charles. Le 29 mars 2006, au terme d’un appel d’offres, l’entreprise Pomerleau inc. s’est vu octroyer le contrat pour la réalisation d'un réservoir de rétention d'une capacité de 9 000 mètres cubes.

 

Pomerleau a à son tour engagé à forfait le sous-traitant GPC Excavation inc. (« GPC »), pour effectuer les travaux d’exploration, d’excavation et de remblai ainsi que pour effectuer le contrôle et l’élimination des eaux souterraines. Ce sous-contrat à prix forfaitaire représentait un coût total de 2,3 millions $, sur un montant de 6,7 millions $ pour l'ensemble des travaux visés par l'appel d'offres.

 

Ainsi, Pomerleau a remis à GPC l’étude géotechnique réalisée par Laboratoire de Matériaux de Québec (« LMQ ») pour le compte de la Ville, laquelle était jointe aux documents d’appel d’offres.

 

Le 11 mai 2006, GPC a transmis par écrit à Pomerleau la méthode qu'elle utiliserait pour le rabattement de la nappe phréatique afin d’être en mesure d’excaver, d’assécher le fond des excavations et de le maintenir à sec pour l’exécution des travaux.

 

Malheureusement, GPC a rencontré de sérieuses difficultés dans l’assèchement du fond et a ainsi mandaté la firme Inspect-sol pour vérifier l’indice de granulométrie et de perméabilité du sol. GPC a ainsi  assumé des coûts additionnels de plus de 200 000 $, montant qu'elle a ensuite réclamé à Pomerleau au motif qu'elle a rencontré des conditions de chantier manifestement différentes de celles énoncées.

 

GPC prétendait que la cause de ces difficultés était due à une rivière souterraine et à des caractéristiques du sol qui n'apparaissaient pas dans l’étude géologique ni dans aucun autre document reçu. Pomerleau et la Ville auraient ainsi manqué à leur obligation de renseignement respective, ce qu'ont nié Pomerleau et la Ville de Québec. Quant à elle, LMQ a défendu la qualité de son étude de sol. Bref, qui est responsable pour les dépassements de coûts liés aux conditions de sol rencontrées ?

 

Le droit

Comme le souligne la juge April, la pierre angulaire du présent dossier réside dans la justesse de l’étude géologique préparée par LMQ.  C’est le premier élément qui doit être analysé par le Tribunal afin de déterminer « (a) si la Ville, en tant que donneur d’ouvrage s’est acquittée de son obligation de renseignement de transmettre les données techniques pour l’application adéquate des méthodologies d’excavation par GPC et par conséquent, (b) d’établir le lien de causalité et le degré de responsabilité des parties ».

 

Ainsi, la Cour conclut, après avoir analysé les différentes études et expertises fournies par les parties, que l’étude réalisée par LMQ respecte les règles de l'art en étant « abondamment détaillée et précise dans l'analyse des échantillons » et « dont les données ne sauraient être qualifiées d’erronées », en ce que les conditions de sol rencontrées lors des travaux n'étaient peu ou pas différentes de celles mentionnées dans le rapport.

 

De plus, le Tribunal accorde une importance fondamentale au fait que le rapport comprenait une mise en garde à l'effet que « les caractéristiques […] laissent présager que des conditions particulières sur le terrain seraient rencontrées au moment des travaux », dont notamment d’importantes venues d’eaux.

 

Sur cette base, la juge considère que la Ville s’est acquittée de son obligation d'information et que Pomerleau, n'ayant été que la courroie de transmission, a elle aussi rempli telle obligation en mettant à la disposition de GPC le rapport géotechnique. La réclamation de GPC est ainsi totalement rejetée et elle doit assumer seule les coûts liés aux conditions de sols rencontrés.

 

Enfin, la Cour rappelle que le sous-contractant, étant généralement retenu par l’entrepreneur général pour son expertise, doit assumer le risque inhérent à la méthode qu’il a choisi pour exécuter son contrat. Sans qu’il n'ait l’obligation de refaire toutes les études préalables, il doit tout de même vérifier les informations qui lui sont fournies pour établir une méthode appropriée. En l’espèce, la Cour conclut, sur la base des expertises, que la méthode de pompage adoptée par GPC n’était pas optimale et qu'il revient ainsi à cette dernière d'en assumer les frais.

 

Conclusion

Somme toute, cette affaire nous rappelle l’incertitude inhérente à certains domaines scientifiques et porte une grande attention aux mises en garde dont doivent tenir compte les entrepreneurs et les sous-entrepreneurs. Si le rapport remis par le donneur d'ouvrage ne contient aucune information erronée, l'entrepreneur ne pourrait plus invoquer le non-respect de l’obligation de renseignement et il en assumerait les risques de dépassement de coûts.

 

Ainsi, non seulement faut-il se renseigner, mais il faut aussi que l'entrepreneur conduise sa propre enquête sur les conditions de sol. À défaut, c'est ce dernier qui paiera la note des mauvaises surprises.

 

1. GPC Excavation inc. c. Pomerleau inc., 2014 QCCS 5550

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Anik Pierre-Louis au 514 871-5372ou par courriel à apierrelouis@millerthomson.com

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 15 janvier 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !