23 juillet 2014

Des chercheurs planchent sur des formules plus performantes, plus résistantes et aussi plus écologiques. Regard sur les enrobés bitumineux du futur.

Par Marie Gagnon

 

Le bitume est connu depuis l’Antiquité. Il était alors utilisé pour calfater les embarcations et assurer l’étanchéité des citernes et des canaux d’irrigation. Ce n’est toutefois qu’au début du XIXe siècle qu’il fait ses premières apparitions sur les routes, où il est employé pour imperméabiliser les chaussées de pierres. Un siècle plus tard, l’emploi du bitume comme revêtement s’accroît avec l’arrivée de l’automobile et la densification du réseau routier qui s’ensuit.

 

Chemin faisant, l’industrie routière affine ses produits. Mais il faut attendre le premier choc pétrolier pour qu’un véritable virage s’amorce et que les pétrolières mettent au point les premiers bitumes durs. « Aujourd’hui, les recherches portent davantage sur l’économie de matériaux, l’efficacité énergétique et la durabilité », mentionne Alan Carter, professeur au département de Génie de la construction de l’ÉTS et responsable du Laboratoire sur les chausséeset les matériaux bitumineux (LCMB).

 

Il note entre autres des avancées importantes dans la formulation des enrobés, avancées qui ont donné naissance à des couches de surface de plus en plus minces et à des structures constituées d’enrobés plus résistants et moins sujets à la déformation. « Le gros du travail porte surtout sur la granulométrie, indique le chercheur, mais aussi sur la mise au point de bitumes aux performances plus élevées, qui résistent mieux à la circulation dense et aux chargements lourds. »

 

C’est le cas notamment des enrobés à module élevé ou EME. Apparus il y a une quinzaine d’années, les EME sont réputés pour leur grande capacité structurale. On estime en effet que la rigidité de ces enrobés est de deux à trois fois supérieure à celle des enrobés standards généralement spécifiés au Québec. Outre un module hautement performant, on leur reconnaît également une forte résistance à l’orniérage et une tenue à l’eau améliorée, et ce, même en période hivernale.

 

Place au recyclage

Par ailleurs, la cherté grandissante de la ressource bitumineuse, de même que la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles, a amené l’industrie et les laboratoires à s’intéresser de plus près au recyclage des enrobés. « Aujourd’hui, les mélanges contenant des granulats bitumineux recyclés sont aussi performants, sinon plus, que les enrobés fabriqués uniquement de matériaux neufs, affirme Alan Carter. Sauf que la quantité de matériaux recyclés permise par le ministère des Transports ne peut excéder les 20 % pour l’instant. »

 

Il ajoute que le LCMB s’est également penché sur la formulation d’enrobés coulés à froid (ECF) faits à partir de bardeaux d’asphalte postproduction. Les résultats obtenus se comparent à ceux des ECF standards. Mais encore là, le matériau se heurte à une forte résistance et son usage se résume bien souvent au remplissage de nids-de-poule. Cependant, le MTQ en autorise maintenant l’utilisation, à hauteur de 3 %, dans la couche de base. Actuellement, le LCMB étudie une formulation à partir de bardeaux postconsommation. Mais leur rigidité rend difficile leur réutilisation.

 

Le recyclage de pneus, sous forme de poudrette de caoutchouc, est également à l’étude au LCMB. « On connaît certains succès, mais aussi certains insuccès, concède Alan Carter. Mais, de façon générale, on peut dire que leur principal avantage est économique. Ils permettent d’abaisser de 0,1 à 0,2 % la quantité de bitume dans le mélange, ce qui n’est pas à négliger lorsqu’on considère d’une part le coût de la ressource et, d’autre part, la formulation des enrobés, qui contiennent 5 % de bitume. »

 

Vision durable

L’autre avantage d’utiliser du caoutchouc se situe sur le plan environnemental, car il constitue un débouché pour les pneus usés, souvent entreposés de façon plus ou moins sécuritaire. Toujours d’un point de vue environnemental, la formulation d’enrobés tièdes, qui sont mis en oeuvre à des températures de 20 à 30 degrés Celsius inférieures à celle des enrobés standards, a également fait son chemin. En effet, comme le mélange est moins chauffé, il produit moins d’émanations. Par conséquent, il est moins toxique pour les travailleurs, sans compter les importantes économies d’énergie qu’il suppose.

 

« Ce type d’enrobé est de plus en plus répandu au Québec, souligne le jeune professeur. De mon côté, je travaille surtout sur la formulation et la caractérisation d’enrobés contenant des matières recyclées. Le but du jeu, c’est d’être le plus vert possible mais pas à tout prix. On ne cherche pas à transformer les routes en dépotoirs linéaires. Il faut qu’il y ait des avantages, sur le plan écologique certes, mais aussi sur les plans technique et économique. »

 

Comme l’incorporation de verre recyclé. Il s’agit en effet d’une matière abondante et facilement recyclable. Au LCMB, la recherche en est à ses premiers balbutiements. « En général, les résultats sont excellents, sauf que, bizarrement, parfois on n’obtient pas autant de résistance, confiet- il. N’empêche, on poursuit nos efforts, entre autres dans la mise au point d’ECF drainants, tout en gardant à l’esprit la sécurité des usagers, l’innocuité des produits et la diminution des impacts environnementaux. »