Le paiement des matériaux fournis pour un ouvrage

16 janvier 2012
Par Me Andréanne Sansoucy, LL.B., LL.M.

Les fournisseurs de matériaux qui souhaitent protéger leurs créances se prévalent du mécanisme de l’hypothèque légale ou produisent une réclamation à la compagnie d’assurance ayant fourni un cautionnement de paiement de la main-d’œuvre et des matériaux. Il arrive toutefois que ces mécanismes ne soient pas applicables. Outre ces mécanismes, les sous-traitants qui fournissent des matériaux peuvent protéger leurs créances en stipulant une réserve de propriété à leur profit.  À défaut d’être payés, les fournisseurs peuvent ainsi récupérer leurs matériaux ou forcer le propriétaire à en payer la valeur.

 

Deux règles essentielles pour être en présence d’une réserve de propriété valide : la clause doit être stipulée dans un contrat de vente et la réserve doit avoir été publiée au RDPRM.

 

En droit québécois, une réserve de propriété peut intervenir que si les parties la prévoient contractuellement (1). La clause doit être stipulée dans un contrat de vente, afin que les dispositions du Code civil du Québec portant sur le contrat de vente à tempérament (C.c.Q., art. 1745 et suiv.) s’appliquent et permettent le droit de reprise (2).

 

La réserve doit aussi être publiée au Registre des droits personnels et réels mobiliers (formulaire intitulé « Réquisition d’inscription d’une réserve de propriété, des droits résultant d’un bail ou de certains autres droits (RD) ». Par sa publication, la réserve est opposable à tous les tiers et c’est ce qui permettra de l’opposer au propriétaire de l’ouvrage.

 

Ce que permet la réserve de propriété : revendiquer les matériaux ou forcer le propriétaire à en payer la valeur.

 

La réserve de propriété sur les matériaux permet au fournisseur d’en reprendre possession à défaut d’être payé. Pour exercer le droit de reprise, le vendeur doit donner un « préavis d’exercice du droit de reprise du vendeur » au sens du Règlement sur le registre des droits personnels et réels mobiliers (3) en utilisant pour ce faire le formulaire intitulé « Réquisition d’inscription d’un préavis d’exercice (RP) ». L’exercice du droit de reprise est effectivement assujetti aux règles relatives à l’exercice des droits hypothécaires et afin de respecter ces règles, un préavis doit être donné (C.c.Q., art. 1749). Le fournisseur peut revendiquer les matériaux par voie de saisie mobilière.

 

Le principe de l’accession, soit le principe par lequel le propriétaire de l’ouvrage devient propriétaire des matériaux qui s’intègrent à son ouvrage, vient toutefois empêcher le fournisseur de reprendre possession des matériaux intégrés à l’ouvrage. Cependant, même si dans ces cas la réserve de propriétaire est inefficace pour la revendication des biens, elle demeure utile pour le fournisseur. En effet, par l’application de l’article 956 du C.c.Q., le propriétaire doit payer au propriétaire des matériaux leur valeur au moment de l’incorporation. La clause de réserve de propriété a donc pour effet d’obliger le propriétaire à défrayer les coûts de la valeur des matériaux au fournisseur, nonobstant l’absence de contrat intervenu entre ces derniers et nonobstant l’absence d’inscription d’une hypothèque légale.

 

Illustration

La décision de la Cour supérieure dans l’affaire Société en commandite Chalin (Syndic de) (4), bien que rendue en 1994 sous le régime du Code civil du Bas-Canada, démontre que le contrat de vente à tempérament est une option avantageuse pour le fournisseur de matériaux. Dans cette affaire, un fournisseur avait conclu un contrat de vente de matériel avec un entrepreneur général. Aux termes de ce contrat, le fournisseur demeurait propriétaire des biens jusqu’à leur parfait paiement. Le paiement complet n’ayant jamais été effectué, le fournisseur pouvait les revendiquer.

 

Le tribunal fut d’avis que le principe de l’accession ne venait pas en l’espèce entraver ce droit du fournisseur car les matériaux n’étaient pas devenus immeubles par intégration.

 

La clause de réserve de propriété permet donc au fournisseur de matériaux de reprendre possession de ses matériaux lorsque cette clause est stipulée dans le cadre d’un contrat de vente et lorsque les matériaux ne sont pas devenus immeubles par intégration. Le fournisseur de matériaux s’assure donc, soit d’être payé par l’entrepreneur général ou le sous-traitant avec lequel il a contracté ou le propriétaire de l’ouvrage, soit de pouvoir reprendre possession des matériaux qu’il a fournis. De l’autre côté, le propriétaire de l’ouvrage devrait s’assurer que le fournisseur de matériaux a été payé en exigeant la quittance du fournisseur avant de payer l’entrepreneur, afin de ne pas avoir à débourser deux fois plutôt qu’une pour les mêmes matériaux.

 


Pour toutes questions ou commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec Me Andréanne Sansoucy par courriel à asansoucy@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5455.


(1) C’est d’ailleurs le cas également en France. Bien qu’au début des années 1990, la Fédération Nationale du Bâtiment avait proposé de prévoir au Code civil une réserve de propriété au bénéfice des entrepreneurs généraux, la proposition ne fut pas adoptée en raison du fait qu’elle était inconciliable avec le principe de l’acquisition par voie d’accession, principe par lequel le maître de l’ouvrage devient propriétaire des matériaux qui sont intégrés à son immeuble : Proposition de loi n° 1374 du 10 mai 1990 rejetée le 23 novembre 1993 (J.O. du 24 novembre 1993).  Voir : Erick MARTINVILLE, La sous-traitance de construction : adaptation du droit aux évolutions économiques en matière de construction, Aix-en-Provence : Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2004, p. 421.

 

(2) La Cour supérieure, dans la décision Technologies Elcotech inc. c. Envirofab inc., EYB 2008-145733 (C.S.), a jugé qu’il ne pouvait y avoir réserve de propriété valable sur des matériaux, car ils avaient été fournis dans le cadre d’un contrat d’entreprise de construction et non pas dans un contrat de vente.

 

(3) Règlement sur le registre des droits personnels et réels mobiliers c. C.C.Q., r. 8.

 

(4) La Cour supérieure, dans la décision Technologies Elcotech inc. c. Envirofab inc., EYB 2008-145733 (C.S.), a jugé qu’il ne pouvait y avoir réserve de propriété valable sur des matériaux, car ils avaient été fournis dans le cadre d’un contrat d’entreprise de construction et non pas dans un contrat de vente.

Miller Thomson

 

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 12 janvier 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !