5 mars 2014
Par Me Patrick Garon-Sayegh

Pour les donneurs d’ouvrage qui lancent des appels d’offres, corriger les erreurs qu’ils découvrent dans les soumissions qu’ils reçoivent peut être une question délicate. En effet, une des premières exigences en matière d’appel d’offres est le respect de l’égalité entre les soumissionnaires. Or, toute modification à une soumission porte le risque de bénéficier un soumissionnaire au détriment d’un autre.

 

Cela est particulièrement vrai dans le cas d’erreurs de calcul qui, si elles sont corrigées, changent l’ordre des soumissionnaires conformes. Si la simple correction d’une erreur évidente qui ne change pas l’ordre des soumissionnaires sera rarement un problème pour le donneur d’ouvrage, la correction d’une erreur de calcul — aussi simple soit-elle — qui change l’ordre des soumissions risque fort d’être contestée par le soumissionnaire désavantagé.

 

Le donneur d’ouvrage peut donc se trouver dans une situation difficile : il peut soit (1) corriger l’erreur, ce qui lui donne souvent un prix plus bas à l’issu de l’appel d’offres,  soit (2) ne pas corriger l’erreur et donc vraisemblablement accepter un prix plus élevé, soit (3) annuler l’appel d’offres, s’il le peut, avec tous les coûts que cela entraîne. Peu importe son choix, il est possible qu’il soit contesté par le soumissionnaire désavantagé. Ce n’est pas une position facile et il importe de prendre la bonne décision, sans quoi le donneur d’ouvrage s’expose à devoir payer des dommages au soumissionnaire qui démontre que la décision était illégale et qu’elle lui a causé un dommage (qui est normalement une perte de profits).

 

La Ville de Pointe-Claire a récemment appris a ses dépens, dans une affaire récente l’opposant à l’entreprise Cosoltec1, l’importance de prendre la bonne décision lorsque placée dans de telles circonstances.

 

Les faits

À l’ouverture des soumissions d’un appel d’offres pour un contrat de rénovation et d’agrandissement d’un centre aquatique, Kingston Byers est le plus bas soumissionnaire conforme, et Cosoltec le deuxième. Mais par la suite, la Ville constate des erreurs d’addition dans les soumissions de Cosoltec et Kingston Byers.

 

En corrigeant les erreurs d’addition, c’est Cosoltec qui devient le plus bas soumissionnaire conforme et Kingston Byers le deuxième. Il est à noter que les erreurs de calcul entraînaient une hausse de prix : la correction des erreurs faisait en sorte que le prix de Cosoltec revenait à environ 451 000 $ de moins qu’indiqué dans sa soumission, et le prix de Kingston Byers revenait à environ 161 000 $ de moins.

 

La Ville est prise avec un dilemme : elle doit choisir entre corriger les erreurs ou non. Il s’ensuit une période d’indécision pendant laquelle la Ville discute avec Cosoltec afin de voir si elle peut baisser son prix encore plus, obtient des avis juridiques sur la possibilité de corriger les erreurs de calcul observées, et reçoit une mise en demeure de Kingston Byers qui exige que le contrat lui soit octroyé. Plus de quatre mois après avoir ouvert les soumissions, la Ville choisit finalement de ne pas corriger les erreurs de calcul : elle accepte la soumission de Kingston Byers avec le prix plus élevé qui inclut ses erreurs de calcul.

 

Estimant que le contrat lui est dû, Cosoltec poursuit la Ville et réclame sa perte de profit découlant de l’octroi illégal du contrat à Kinston Byers, alors que c’est elle qui est la plus basse soumissionnaire conforme.

 

Décision

La Cour juge que la Ville aurait dû corriger les erreurs de calcul et octroyer le contrat à Cosoltec sur la base de quatre principaux facteurs. Premièrement la Cour rappelle que le législateur a mis en place l’exigence de procéder par appel d’offres public pour deux raisons principales : (1) permettre à tous les entrepreneurs d’avoir une chance égale de traiter avec l’administration publique, et (2) permettre au contribuable d’avoir le meilleur prix possible pour les produits et services achetés en son nom.

 

Deuxièmement, la Cour est d’avis qu’il n’est pas surprenant que des erreurs de calcul aient eu lieu dans les deux soumissions, à cause de la façon dont le formulaire de soumission a été conçu. Pour corriger les erreurs, il ne s’agit que de refaire l’addition des coûts ventilés dans le formulaire de soumission.

Troisièmement, la Cour est d’avis que les principes de droit en la matière exigent d’un donneur d’ouvrage qu’il corrige les simples erreurs mathématiques pour obtenir le coût global d’une soumission « lorsqu’une telle opération n’entraîne aucune explication ou raisonnement complexe de ce que le soumissionnaire a voulu dire »2.

 

Quatrièmement, l’importante économie qui résulte de la correction des erreurs milite encore plus en faveur de leur correction selon la Cour, surtout lorsque les deux soumissionnaires sont conformes. La Cour estime qu’il est inéquitable et contraire à l’intérêt public d’octroyer le contrat au soumissionnaire conforme qui n’est pas, en réalité, le plus bas. Cela viole même le principe de l’égalité entre les soumissionnaires.

 

Conclusion

Il est à noter que le cahier des charges et le formulaire de soumission ne donnaient aucune directive quant à la manière dont la Ville devait aborder les erreurs de calcul. S’il y avait eu une telle directive, comme on en retrouve souvent dans les appels d’offres, le raisonnement aurait vraisemblablement été différent, et il n’y aurait peut-être même pas eu de litige.

 

L’égalité des soumissionnaires peut donc être violée autant lorsqu’on corrige les simples erreurs de calcul que lorsqu’on ne les corrige pas. Lorsque des erreurs de calcul sont découvertes, il importe de bien faire attention aux faits particuliers de chaque affaire, et de voir si les documents d’appel d’offres prévoient des directives particulières. Chose certaine : la correction devra toujours être simple et ne nécessiter aucune supposition de la part du correcteur, sans quoi l’égalité des soumissionnaires sera compromise.

 

1. Cosoltec inc. c. Pointe-Claire (Ville de), 2013 QCCS 2967.

2. Ibid. au para. 70.


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Patrick Garon-Sayegh au 514-871-5425 ou par courriel à pgsayegh@millerthomson.com

Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 18 février 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !