Les périls reliés aux prix forfaitaires dans un marché volatil

16 février 2010
Par Me Antonio Iacovelli

Le contrat de construction à prix forfaitaire en est un où l’entrepreneur s’engage à exécuter des travaux et d’autres obligations déterminés en contrepartie du versement d’un prix fixé à l’avance. En raison du caractère fixe de la rémunération qu’il est censé recevoir, l’entrepreneur qui effectue les travaux devra normalement assumer les risques et aléas liés à l’exécution du contrat à prix forfaitaire. Le Code civil du Québec codifie cette règle à son article 2109 et une récente décision de la Cour du Québec dans l’affaire Ali Excavation inc. c. Municipalité de Franklin l’applique.

 

Les faits

La Municipalité de Franklin (la « Municipalité ») procède à un appel d’offres en été 2008 pour le pavage de deux rues sur son territoire. La soumission d’Ali Excavation inc. (« Ali ») étant la plus basse conforme, le contrat lui est octroyé. Ce contrat stipule que les travaux seront effectués « après le 11 juillet 2008 et au plus tard le 1er août 2008 ».  On prévoit une seule journée pour accomplir les travaux.


Malgré le libellé du contrat, Ali appelle la Municipalité le 7 juillet 2008 afin de fixer les travaux durant la même semaine. La Municipalité fait valoir que le chantier ne sera pas prêt avant le 11 juillet, si bien que les parties conviennent de fixer les travaux à la fin du mois de juillet.


Le chantier est prêt dès le 11 juillet 2008. Toutefois compte tenu de l’entente quant à la date de l’exécution des travaux, le surintendant de la Municipalité quitte pour ses vacances le même jour, soit le 11 juillet 2008. Lors des vacances du surintendant, Ali communique avec la Municipalité pour lui signaler son intention d’entreprendre les travaux le 17 juillet.


La Municipalité refuse en expliquant que son surintendant, dont le retour au travail est prévu le 21 juillet, est la seule personne chargée de surveiller les chantiers et qu’il est en vacances. La Municipalité maintient que les travaux doivent avoir lieu à la fin du mois de juillet tel que prévu par les parties.

 

Le 30 juillet, Ali signale à la Municipalité par voie de lettre qu’elle ne peut compléter les travaux sans révision à la hausse du prix convenu en invoquant une augmentation d’environ 30 % du prix du bitume.

 

La Municipalité rétorque qu’il n’y aura aucune révision du prix convenu et qu’à défaut par Ali d’effectuer les travaux, son cautionnement sera retenu et la Municipalité confiera le contrat à un autre entrepreneur et tout coût excédentaire, selon le cas, sera réclamé à Ali.

 

Après un échange de correspondance, la Municipalité met Ali formellement en demeure d’effectuer les travaux au prix soumis dans le cadre de l’appel d’offres. Ali effectue les travaux en date du 15 septembre 2008 et émet trois jours plus tard une facture à la Municipalité au montant de 16 211,70 $ pour une surcharge de bitume.

 

La Municipalité refuse de payer la surcharge et Ali la poursuit, alléguant la faute de la Municipalité en ne lui laissant pas accès au chantier dès le 11 juillet 2008. N’eut été de cette faute contractuelle de la part de la Municipalité, prétend Ali, celle-ci n’aurait pas écopé des dommages causés par la hausse faramineuse du prix du bitume.

 

La décision de la Cour

La Cour entame sa réflexion en nous rappelant le libellé de l’article 2109 du Code civil qui se lit comme suit :

2109.  Lorsque le contrat est à forfait, le client doit payer le prix convenu et il ne peut prétendre à une diminution du prix en faisant valoir que l'ouvrage ou le service a exigé moins de travail ou a coûté moins cher qu'il n'avait été prévu.
 
Pareillement, l'entrepreneur ou le prestataire de services ne peut prétendre à une augmentation du prix pour un motif contraire.
 
Le prix forfaitaire reste le même, bien que des modifications aient été apportées aux conditions d'exécution initialement prévues, à moins que les parties n'en aient convenu autrement.

 

Elle retient que le contrat entre Ali et Franklin est clairement forfaitaire puisqu’il n’est doté d’aucune clause d’ajustement du prix convenu. Dans le cas qui nous occupe, il incombe à Ali de prouver qu’elle a été retardée dans l’exécution des travaux par un geste fautif de la Municipalité et que ces retards ont occasionné des coûts additionnels imputables directement à la faute de la Municipalité.

 

Or, par suite de son analyse de la preuve, la Cour est d’avis que la Municipalité n’a commis aucune faute dans cette affaire.

 

La Cour rappelle les termes du contrat qui indique que les travaux doivent être exécutés après le 11 juillet 2008 et au plus tard le 1er août 2008. En effet, la Municipalité a fait le nécessaire pour mettre le chantier en état dès le 11 juillet. Toutefois, lors de l’appel téléphonique hâtif d’Ali du 7 juillet, les parties ont enfin convenu que les travaux seraient complétés vers la fin du mois de juillet, ce qui est tout à fait conforme aux termes du contrat.

 

La Cour est donc d’avis que, vu l’entente entre les parties pour l’exécution des travaux vers la fin de juillet, la Municipalité n’a commis aucune faute en permettant à son surintendant de quitter pour vacances dès le 11 juillet 2008.

 

À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’Ali a eu accès au chantier dans la période prévu au contrat et qu’elle a volontairement reporté l’exécution des travaux pour des motifs économiques. Il est, par ailleurs, à noter qu’Ali était bien au courant de la volatilité du prix du bitume durant l’été 2008 mais elle n’a pas pour autant prévu de clause d’ajustement de prix à sa soumission.

 

Ali n’ayant pas prouvé la faute contractuelle de la Municipalité, sa poursuite doit succomber.

 


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