Le pont d’aluminium d’Arvida, avant-gardiste et témoin de l'évolution des savoirs

25 février 2013
Par Dominique Lemoine

Cité monument historique, le pont en aluminium en arc à tablier supérieur d'Arvida enjambant un bras de la rivière Saguenay a été construit de 1949 à 1950. Premier et plus long pont au monde construit en  entier en aluminium, il est demeuré unique, mais les techniques novatrices de calcul qui ont permis sa réalisation étaient à l'époque encore méconnues en Amérique.

 

Souvenirs éloquents d’une infrastructure ambitieuse

L'ingénieur Walter Stensch, 88 ans, n'a pas travaillé sur ce projet de pont, mais il en a entendu parler. Il dit avoir commencé à travailler pour Emil Nenniger en 1943. Selon les recherches du Répertoire du patrimoine culturel du Québec, la firme d'ingénieurs Surveyer, Nenniger et Chênevert de Montréal (maintenant connue sous le nom SNC-Lavalin) était responsable de la supervision des travaux.

 

« Nenniger avait l'habitude d'en parler beaucoup. Il en était très fier. Il avait obtenu le contrat, conçu et dessiné la fondation, il avait aussi travaillé sur le tablier. Les arches avaient été conçues en partie par la compagnie d'aluminium et M. Nenniger avait fait des calculs. » Selon lui, la compagnie d'aluminium, c’est-à-dire Alcoa (devenue Alcan en 1928), avait une ambition de prestige dans ce projet de premier pont et « voulait faire des choses elle-même ».

 

En effet, des notes historiques préparées par Daniel Turcotte, agent de développement pour Ville de Saguenay, mentionnent que « l'ingénieuse réalisation est le résultat du travail conjoint de l'Alcan, de l'Aluminium Laboratories Limited, de la Dominion Bridge Company, de la firme d'ingénieurs Surveyer, Nenniger et Chênevert (devenue SNC en 1975), avec la participation d'architectes et d'architectes paysagistes ».

 

Aluminium vs acier

« L'aluminium est très léger par rapport à l'acier. Je ne sais pas quel était le coût de l'aluminium, mais tous les ponts d'alors étaient fabriqués en acier. C'était un projet très spécial », dit Walter Stensch. Selon le Répertoire du patrimoine, les éléments de structure avaient été fabriqués en atelier et réalisés à partir d'alliages, puis assemblés par rivetage, boulons et broches aussi en alliages enduits de produits scellants.

 

L'organisme dit que le type de pont a été choisi pour préserver la beauté naturelle du site. « Après trois mois d'études et discussions avec l'Alcoa, la Dominion Bridge propose deux projets de pont : l'un en acier, l'autre en aluminium. Malgré l'absence de précédent, c'est le pont en aluminium qui est retenu. »

 

Walter Stensch pense que le projet était peut-être alors « une sorte d'essai », le promoteur étant une entreprise d'aluminium avec beaucoup d'influence. « Elle faisait la promotion de l'aluminium, et voulait prouver un point et entrer dans le marché des ponts », c'était aussi « un peu de la recherche ».

 

Selon les notes de Daniel Turcotte, « au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l'aluminium était très associé à l'industrie militaire (aviation). Le projet de construction d'un pont d'aluminium à Arvida, dont l'aluminerie était devenue, en 1944, le plus grand complexe aluminium et alumine au monde, visait à promouvoir la diversification des produits de l'aluminium et à démontrer sa force structurelle ».

 

L'ingénieur Walter Stensch se dit surpris que plus de ponts d'aluminium n'aient pas été construits ensuite. « D'une manière ou d'une autre les ponts en acier ont gagné contre les ponts en aluminium. Aujourd'hui, on ne trouve pas beaucoup de ponts d'aluminium », soutient-il. Le pont d'Arvida pèse 163 tonnes, « un pont similaire en acier en pèserait plus du double », selon Daniel Turcotte.

 

Mais le rêve n'est pas éteint et certains pensent que l'aluminium, moins corrosif et plus durable, mais plus cher au départ, pourrait devenir plus rentable à long terme que le béton et l'acier. L'industrie de l'aluminium se mobilise pour encourager les changements dans les règles d'appels d'offres et l’analyse des coûts de l'ensemble de la durée de vie des ouvrages. Une étude vient d’ailleurs d'être publiée sur les possibilités d'utiliser de l'aluminium pour les ponts et viaducs routiers.

 

Défis et innovations techniques

Au-delà du choix de l’aluminium, le pont d’aluminium d’Arvida s’est aussi démarqué sur le plan technique. « Je peux vous dire qu'à l'époque il n'y avait pas beaucoup d'ingénieurs qui pouvaient faire les calculs de contraintes pour les arches », dit Walter Stensch. Il précise que les calculs de M. Nenniger étaient innovateurs, que ce dernier était arrivé de Suisse avec une méthode de calcul graphique des points fixes rendant possibles les calculs nécessaires à la construction. « C'était avant les ordinateurs, au début de l'ensemble du domaine du calcul de contraintes et M. Nenniger était l'un des précurseurs », rappelle-t-il.

 

Selon le livre sur le 100e anniversaire de SNC-Lavalin, en 1934 « Nenniger travaille à un contrat pour la reconstruction d’une église à Valleyfield […] avec une combinaison ignifuge de béton armé et acier. Mû par une inspiration soudaine, il utilise une méthode européenne novatrice, appelée méthode de calcul graphique des points fixes, alors inconnue au Canada, pour optimiser les coûts de construction ».

 

Méthode « conçue à l’origine par le professeur Wilhelm Ritter, elle permet aux ingénieurs de calculer avec précision et de façon graphique les capacités portantes, ce qui élimine l’excédent de matériaux de construction », dit-on dans ce livre, dont des extraits ont été fournis par SNC-Lavalin. C'est de cette méthode encore toute nouvelle au Québec, que Nenniger a fait profiter le pont d'aluminium d'Arvida.

 

 

Équipe de projet du pont d'aluminium d'Arvida

Donneurs d'ouvrage : Cité d'Arvida et Alcan (coût de la construction : environ 315 000 $)

Architecte / concepteur : Dominion Bridge Company

Ingénieurs consultants : Surveyer, Nenniger et Chênevert

Constructeur : Pic Construction (Jonquière)