Réhabiliter les conduites sans tranchée ni odeur

11 juillet 2016
Par Marie Gagnon

La Ville de Québec innove en recourant à une technique de chemisage par réticulation aux rayons ultraviolets sans émanations toxiques.

Ce n’est pas d’hier que la Ville de Québec fait appel au chemisage pour la réhabilitation de son infrastructure souterraine. Déjà, à la fin de la décennie  0, elle innovait en réalisant ses premiers travaux de mise à niveau de conduites d’égout au moyen d’une méthode dite au feutre. Bien qu’elle ait fait ses preuves en termes de rentabilité et de rapidité d’exécution, cette méthode est cependant associée à de fortes émanations pouvant aussi bien incommoder les résidents que les travailleurs au chantier, occasionnant nausées et maux de tête dans les cas les plus graves.

 

En 2014, la situation atteint un point tournant alors que les plaintes des résidents culminent et que les évacuations se multiplient. « Le problème avec le chemisage au feutre, c’est que la gaine contient du styrène, un solvant qui une fois chauffé dégage une odeur très forte, même à des concentrations très faibles, note Patrice Bergeron, chef d’équipe et responsable des travaux souterrains à Québec. Cette odeur migre jusqu’aux habitations par les canalisations et la situation devient vite intolérable. Comme on a du rattrapage à faire côté réhabilitation de conduites, il fallait trouver une solution. »

 

Un appel d’offres, deux solutions

La solution viendra d’Europe. Ou plutôt les solutions. Car lorsqu’elle lance en avril 2015 un premier appel d’offres pour la réhabilitation de 1 949 mètres de conduites pluviales, sanitaires et unitaires au moyen d’une technique de chemisage sans odeur, la Ville propose deux méthodes très prisées sur le Vieux Continent : la gaine imprégnée de résine environnementale sans styrène thermodurcissable à la vapeur et la gaine en résine de polyester photodurcissable aux rayons ultraviolets.

 

L’une comme l’autre, ces techniques accroissent la capacité structurale de la conduite, tandis que la surface lisse et continue des gaines en assure l’étanchéité et en améliore la capacité hydraulique, en plus d’offrir une excellente résistance à la corrosion. C’est toutefois la méthode de gainage par réticulation aux rayons ultraviolets proposée par Lafontaine, au prix de 600 000 dollars, qui sera mise en oeuvre entre le 31 août et le 14 octobre 2015 pour réhabiliter les conduites visées par l’appel d’offres.

 

« Cette méthode se distingue d’abord par les matériaux qui constituent la gaine et le mode de durcissement de la résine, explique Mathieu Lafontaine, le vice-président Construction de l’entreprise. La gaine est fabriquée de fibres de verre tissées bidirectionnellement et la résine est photodurcissable, c’est-à-dire qu’elle durcit sous l’effet d’une lampe à rayons ultraviolets. La gaine contient aussi du styrène, mais à un très faible niveau comparativement à la gaine de feutre, et elle est enveloppée de deux films de composite multicouche qui empêchent la propagation des odeurs. »

 

La méthode de gainage par réticulation aux rayons ultraviolets a été appliquée sur un chantier de la Ville de Québec. Photo de Lafontaine

 

En plus de protéger la gaine contre d’éventuelles déchirures, cet écran composite prévient le durcissement prématuré et non désiré de la gaine grâce à une pellicule extérieure opaque au rayonnement solaire. La mise en place de la chemise s’effectue ensuite comme n’importe quelle gaine : elle est tractée à l’intérieur de la conduite, dont l’extrémité aura au préalable été scellée, puis gonflée afin d’en épouser les parois. Un train de lampes aux ultraviolets est alors inséré dans la canalisation. Une fois les lampes allumées, le train de lampes est lentement déplacé à l’intérieur de la gaine pour assurer la polymérisation complète de la chemise.

 

Les plus, les moins

Comme toute méthode de réhabilitation sans tranchée, cette technique de chemisage sans odeur présente des inconvénients comme des avantages, note Patrice Bergeron. Il faut en effet faire preuve d’une grande précaution pour éviter toute rupture de la gaine lors du tirage, entre autres au passage des angles prononcés. De plus, la gaine doit constamment être protégée du soleil avant son installation afin d’éviter la réaction prématurée aux rayons ultraviolets. Des difficultés somme toute mineures et largement compensées par des bénéfices environnementaux appréciables.

 

« Les travaux visaient une dizaine de rues, rappelle Mathieu Lafontaine. Ils ont été effectués en 24 jours et au cours de cette période, la Ville n’a reçu aucune plainte de la part des résidents riverains. D’ailleurs, des mesures prises au chantier ont montré, à l’ouverture d’un regard, un taux de styrène de 3 ppm, comparativement à des pointes pouvant aller jusqu’à 250 ppm pour le gainage au feutre. C’est presque 100 % de moins, c’est énorme. »

 

Il ajoute que cette technique, qui recourt aux ultraviolets plutôt qu’à la vapeur ou à l’eau chaude pour opérer la polymérisation de la chemise, ne suppose aucun rejet d’eau chargée de styrène vers le réseau de collecte municipale. Pour les mêmes raisons, l’entrepreneur n’a pas eu besoin de camion-bouilloire ni de camion réfrigéré, seul un camion plateforme et deux camionnettes ont été nécessaires sur l’ensemble du projet, ce qui a considérablement réduit les émissions de gaz à effet de serre produites au chantier.

 

Ces avantages environnementaux ont par ailleurs valu à Lafontaine le Prix génie-voirie en développement durable décerné conjointement par Constructo et l’ACRGTQ, au début de 2016, afin de sensibiliser les acteurs québécois du génie civil et de la voirie à l’importance de tenir compte des enjeux environnementaux dans l’exercice de leurs activités. « J’ai découvert cette technique à l’occasion d’une mission commerciale en Allemagne, souligne Mathieu Lafontaine. En Europe, elle constitue déjà 50 % des marchés publics. Je crois qu’elle est appelée à une forte croissance ici aussi. »