La responsabilité à géométrie variable des professionnels

25 janvier 2010
Par Me Mathieu Turcotte

Les architectes et ingénieurs oeuvrant sur un chantier de construction sont soumis à divers régimes de responsabilité. Outre leurs obligations contractuelles et déontologiques, ils sont également soumis au régime des garanties légales prévues au chapitre du Code civil du Québec portant sur le contrat d'entreprise.

 

Ces garanties, qu'ils partagent avec les entrepreneurs, sont de deux ordres. Dans un premier temps, la garantie contre la perte de l'ouvrage, prévue à l'art. 2118 C.c.Q., d'une durée de cinq ans à compter de la fin des travaux, protège le propriétaire contre ce qu'il est convenu d'appeler les défauts majeurs, soit les vices de construction ayant à terme une possible répercussion sur l’intégrité structurale de l'immeuble.

 

Outre cette garantie d'ordre public, l'art. 2120 C.c.Q. prévoit également une garantie contre les malfaçons, soit l'ensemble des vices de construction représentant des manquements aux plans et devis ou aux règles de l'art. Cette garantie, d'une durée d'un an à compter de la réception de l'ouvrage, n'est pas considérée comme étant d'ordre public, ce qui permettrait théoriquement de s'en exclure contractuellement.

 

Dans les deux cas, le Code civil prévoit la responsabilité des professionnels, en ce qui a trait aux vices de construction, pour les travaux qu'ils ont dirigés ou surveillés. Se pose alors la question de l'intensité de cette obligation dans des cas d'une implication moindre du professionnel, par exemple dans le cadre d'un mandat de surveillance partielle. La Cour d'appel a d'ailleurs eu, l'automne dernier, à faire le point sur cette question d'intérêt dans l'affaire Le Massif inc. c. La clinique d'architecture de Québec inc.

 

Les faits
Au cours du printemps 2001, les architectes de la Clinique d’architecture de Québec se voient confier le mandat de préparer les plans et devis du chalet de ski à être construit au sommet du Massif à la Petite-Rivière-Saint-François, un important projet dont le budget à lui seul est de 3,5 millions $.  Ils se voient par la suite confier la surveillance de la construction, dans le cadre d'un mandat de surveillance partielle.

 

Le chalet ouvre au public le 26 décembre 2001. Dès l'hiver 2001-2002, la présence de barrages de glace est toutefois constatée sur le pourtour de la toiture du chalet. Des expertises sont par la suite effectuées, révélant la présence de ponts thermiques, et des travaux correctifs sont entrepris à l'été 2004. S'ensuit une réclamation contre les architectes de plus de un million de dollars. Cette réclamation est toutefois rejetée par la Cour supérieure, qui conclut que les vices reprochés constituent des malfaçons qui ne pouvaient être détectées par les architectes, et ce, même s'ils avaient fait des visites plus fréquentes sur le chantier.

 

La Cour d'appel fait le point
Cette affaire est l'occasion pour la Cour d’appel de rappeler que contrairement à la garantie pour perte de l'ouvrage, la garantie contre les malfaçons n'est pas d'ordre public et peut donc être modulée en fonction de la convention entre les parties, voire des circonstances propres à un chantier.

 

Dans le présent cas, la Cour retient d'ailleurs une certaine responsabilité de la part du propriétaire qui, malgré un rythme accéléré des travaux, a refusé de modifier le mandat de surveillance partielle des architectes en mandat de surveillance en résidence : « La surveillance des travaux a été remplie diligemment par ces derniers suivant les termes du contrat intervenu. Exprimé autrement, j'estime que l'appelante ne peut invoquer sa propre turpitude pour ensuite en tenir rigueur aux intimés. »

 

Cet arrêt de la Cour d'appel sonne le glas de la responsabilité à tout crin des professionnels et donne ouverture à une certaine forme de défense de diligence raisonnable pour ceux-ci. Désormais, il apparaît clair, en ce qui concerne la garantie contre les malfaçons, que l'intensité de l'obligation des architectes et ingénieurs ayant un mandat de surveillance dépendra directement de la portée de ce mandat et du degré réel de leur implication sur le chantier. Les donneurs d'ouvrage devront prendre acte de cette nouvelle donne en budgétant leurs travaux.

 


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Miller Thomson Pouliot