Les risques d'être un « client-entrepreneur »

18 septembre 2013

Le client qui confie un contrat de construction à un entrepreneur tout en prenant en charge lui-même certaines portions des travaux s'expose à des risques. En effet, une décision récente de la Cour supérieure1, signée par le juge Babin, nous rappelle que la décision du client de s'immiscer dans la réalisation des travaux de construction implique qu'il se responsabilise pour leur exécution.

 

Le « client-entrepreneur » ne peut donc tenir l'entrepreneur responsable si un contretemps survient dans la portion pour laquelle le « client-entrepreneur » est responsable et qui se répercute sur l'ensemble de l'ouvrage.

 

Les faits

Les Constructions Berchard inc. (Berchard) agissait comme entrepreneur dans le domaine de la construction. Cette dernière a complété la construction d'une résidence pour M. Nicolas Jonkmans et Mme Josée Ruel (Propriétaires) à l'hiver 2010. Or, les Propriétaires avaient décidé, suite à une première soumission de Berchard, de prendre en charge la construction et l'installation de plusieurs éléments dans leur maison, tels des fenêtres, portes, foyer, escalier et armoires de cuisine et de salle de bain, le tout dans le but de réduire les coûts.

 

Malheureusement, cela a eu comme effet de retarder le déroulement des travaux de 39 jours et d'empêcher la maison d'obtenir la certification Novoclimat. Le Tribunal devait donc déterminer qui, entre le client et l'entrepreneur, était responsable pour les dommages et extras réclamés de part et d'autre.

 

L'immixtion des propriétaires

D'entrée de jeu, les Propriétaires avaient tout à fait le droit de s'immiscer dans la construction de leur résidence et de prendre en charge personnellement l'accomplissement de certains travaux, soit les portes, fenêtres et foyer. Toutefois, en agissant ainsi, ils devaient en assumer les risques et la responsabilité.

 

Malheureusement pour eux, cette façon de faire a engendré des retards sur les échéances prévues initialement par Berchard. Les Propriétaires ne pouvaient donc réclamer de Berchard les pertes qui en ont découlé. Par contre, si Berchard avait engagé des sous-traitants pour construire les portes, fenêtres et foyer, elle aurait été entièrement responsable des conséquences des retards survenus. Ainsi, la décision de prendre en charge une portion des travaux engendre une responsabilisation qui peut complexifier la tâche de déterminer qui doit supporter les frais de certains aléas survenus en cours de travaux.

 

La certification Novoclimat

Les Propriétaires réclamaient de Berchard une indemnité de 25 000 $ pour la perte de valeur de l'ouvrage au motif que la maison construite n'a jamais pu recevoir l'accréditation gouvernementale Novoclimat qui était décernée aux habitations les moins énergivores. Le Tribunal a rejeté complètement cette réclamation.

 

En effet, cette évaluation était largement exagérée puisque la norme Novoclimat date de l'année 2009 et est déjà dépassée par les normes régulières de construction actuelles. De plus, la maison présentait des qualités énergétiques très semblables à celles exigées par la certification Novoclimat. Les Propriétaires n'ont d'ailleurs pas fait faire d'expertise pour démontrer qu'elle était la réelle perte de valeur de la maison reliée à l'absence de certification. Or, le juge Babin mentionne qu'il « revient au client d'établir par prépondérance de preuve l'existence de telles malfaçons et surtout, de leur importance. »

 

Obligation de résultat de l'entrepreneur

La Cour reconnaît que l'obligation qui incombait à Berchard en était une de résultat, c'est-à-dire que Berchard, à titre d'entrepreneur, avait l'obligation de livrer un ouvrage « qui réponde aux règles de l'art » et qui lui permette d'assurer les fonctions auxquelles les Propriétaires le destinent2. La qualité de la maison, en termes énergétiques, répondait sans aucun doute à cette obligation.

 

Toutefois, Berchard n'a pas pu respecter son obligation de résultat de fournir une maison certifiée Novoclimat. Or, cette impossibilité est directement causée par les Propriétaires eux-mêmes qui ont décidé de s'immiscer dans la construction. Les portes et fenêtres dont les Propriétaires avaient la charge ont été livrées et installées avec du retard et, malgré tout, les Propriétaires insistaient pour que Berchard ne retarde pas les autres travaux et ferme les murs sans délai.

 

Cela a eu comme effet d'empêcher la tenue d'une première inspection obligatoire pour obtenir la certification Novoclimat afin d'effectuer des tests d'infiltrométrie et de vérifier la construction intérieure des murs. L'inspection n'a eu lieu qu'une fois les portes et fenêtres posées et les murs fermés, ce qui a fait échec à l'obtention de la certification Novoclimat. C'est donc en reconnaissant la faute des Propriétaires à cet égard que le Tribunal a conclu que Berchard était exonéré de son obligation de livrer une maison certifiée Novoclimat.

 

Frais de retard

Les Propriétaires réclamaient 5 850 $ à titre de frais de retard dans la livraison de leur maison. Or, le Tribunal retient que ce délai est imputable en grande partie aux décisions des Propriétaires de s'immiscer dans les travaux. Comme Berchard leur avait déjà octroyé un crédit de 2 730 $ pour les retards et qu'aucune date de livraison ni de clause de pénalité n'était incluse dans le contrat de construction, rien ne justifiait l'octroi de cette indemnité.

 

Conclusion

Le cas de Berchard illustre bien que la décision d'un client de prendre sous sa responsabilité l'exécution d'une portion des travaux, bien qu'elle puisse paraître plus économique, peut engendrer d'importantes conséquences monétaires. Dans une telle situation, l'entrepreneur et le client devraient prévoir clairement dans leur contrat l'étendue, les modalités et les termes des travaux à exécuter par chacun d'eux, prévoir conjointement un échéancier une fois la décision prise ainsi que d'informer l'autre dès la survenance d'un imprévu afin de limiter sa répercussion sur l'ensemble de l'ouvrage.

 

1. Constructions Berchard inc. c. Jonkmans, 2013 QCCS 2976

2. Ibid., par.149.

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Anik Pierre-Louis au 514 871-5372 ou par courriel à apierrelouis@millerthomson.com.


Miller Thomson avocats

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 5 septembre 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !