20 septembre 2012
Par Me Patrick Garon-Sayegh

Il existe deux types de cautionnements pour gages, matériaux et services : ceux à formule restreinte et ceux à formule élargie. Les premiers couvrent les obligations de l’entrepreneur à l’égard des sous-traitants avec qui il fait directement affaire. Les seconds couvrent également des sous-traitants qui n’ont pas directement fait affaire avec l’entrepreneur général, à condition que ces « sous-sous-traitants » dénoncent leur implication dans le projet selon les modalités prescrites au contrat.

 

Normalement, le défaut de dénoncer empêche de bénéficier du contrat de cautionnement. Mais le défaut de dénoncer selon les modalités précises du contrat de cautionnement n’est pas toujours fatal à une réclamation ; c’est ce qu’apprirent les défenderesses dans une récente décision de la Cour du Québec : Industries Panfab inc. c. Constructions Lavacon inc[1].

 

Les faits

La défenderesse Constructions Lavacon inc. (« Lavacon ») fut retenue par une ville pour agir à titre d’entrepreneur général pour un projet d’agrandissement d’une bibliothèque. La codéfenderesse Intact Compagnie d’assurances (« Intact ») délivra un cautionnement couvrant les obligations de Lavacon pour salaires, matériaux et services.

 

Le contrat de cautionnement prévoyait que, pour pouvoir réclamer des sommes, tout sous-traitant n’ayant pas conclu de contrat directement avec Lavacon devait dénoncer son contrat à cette dernière dans les 60 jours de la livraison des matériaux.

 

La demanderesse, Les Industries Panfab inc. (« Panfab ») conclut un contrat de fourniture de matériaux avec Les Revêtements 3D inc. (« Revêtements 3D »), un sous-traitant de Lavacon. Revêtements 3D fit faillite avant de payer à Panfab ce qui lui était dû, et Panfab alla donc réclamer auprès de Lavacon et Intact.

 

Lavacon et Intact refusèrent de payer. Privilégiant une interprétation étroite du contrat de cautionnement, elles invoquèrent le fait que Panfab n’avait pas dénoncé à Lavacon le contrat la liant à Revêtements 3D, tel que stipulé au contrat de cautionnement. En effet, Panfab n’avait pas dénoncé son contrat à Lavacon : elle l’avait dénoncé à Intact par erreur.

 

Panfab prend néanmoins action contre Intact et Lavacon, affirmant être créancière aux termes du cautionnement. À l’appui de son action, Panfab allègue que Lavacon était au courant du contrat entre elle et Revêtements 3D, et que par conséquent le défaut de dénoncer le contrat exactement de la manière stipulée au contrat n’est pas fatal à sa réclamation.

 

Panfab invoque une série de faits à l’appui de son allégation, dont les plus importants peuvent être regroupés et résumés comme suit.

 

Premièrement, Panfab avait fait parvenir directement à Lavacon un de ses états de compte. Cet état de compte avait été obtenu par Lavacon à la demande de cette dernière, qui voulait aussi vérifier si une livraison de matériaux était prête afin de s’assurer du bon déroulement des travaux.

 

Deuxièmement, l’état de compte envoyé par Panfab fut payé par Lavacon par chèque fait à l’ordre conjoint de Panfab et de Revêtements 3D. Panfab encaissa le chèque et, par la suite, signa une quittance partielle dans laquelle elle accusa réception du montant et déclara limiter son droit d’hypothèque légale et ses recours contre le propriétaire et/ou l’entrepreneur général et/ou la caution en conséquence de la somme reçue. La quittance partielle fut transmise à Lavacon par le président de Revêtements 3D.

 

Troisièmement, dans les devis fournis à Revêtements 3D, Lavacon avait exigé des matériaux très précis. Revêtements 3D devait fournir un produit fabriqué par Panfab ou un « équivalent approuvé ». Or, il n’existait pas d’équivalent sur le marché. Par ailleurs, tous les dessins d’atelier fournis à Lavacon par Revêtements 3D avaient été créés par Panfab. Ces dessins portaient tous, de manière très visible, les coordonnés de Panfab ainsi que son logo et furent approuvés par Lavacon.

 

Le jugement

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la Cour juge que Lavacon avait été informée en temps utile de l’existence du contrat entre Panfab et Revêtements 3D. Lavacon disposait de suffisamment d’éléments qui, pris ensemble, lui permettaient de savoir que Panfab fournissait les matériaux requis dans les plans et les devis, et ce, tout au long du projet.

 

Le contrat de cautionnement était donc applicable à la créance de Panfab, même si cette dernière n’avait pas dénoncé son contrat strictement selon la méthode précise indiquée. La Cour écrit que le « but recherché par les dispositions du Cautionnement relativement à la dénonciation du contrat du fournisseur de matériaux à l’entrepreneur général a été amplement atteint même si la forme de la dénonciation ne respecte pas la lettre du Cautionnement » [2]. Par ailleurs, Intact et Lavacon « ne subissent aucun préjudice en raison de la dénonciation “irrégulière” du contrat de Panfab » [3].

 

Par conséquent, Panfab était en droit d’être payée par les défenderesses.

 

La leçon

Panfab fut chanceuse dans cette affaire : le concours des circonstances a fait que son défaut de dénoncer n’a pas été fatal. Mais dans d’autres cas, il est bien possible que les faits ne favorisent pas le créancier autant.

 

On peut donc voir l’utilité d’envoyer des messages par télécopieur ou courrier enregistré, mettre ses logos et coordonnées sur toute documentation sortante, et ainsi de suite. Évidemment, il faut idéalement respecter scrupuleusement les modalités de dénonciation stipulées dans un contrat. Mais en s’assurant de toujours être visible lorsqu’on est impliqué dans un projet, on met toutes les chances de notre côté.

 

1.2012 QCCQ 4216 (CanLII).

2. Ibid. au paragraphe 67.

3. Ibid. au paragraphe 68.

 

Pour question ou commentaire, vous pouvez joindre Me Patrick Garon-Sayegh à pgsayegh@millerthomsonpouliot.com ou au 514 871-5425.

Miller Thomson

 

Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 18 septembre 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !