Sûreté suffisante pour récupérer la retenue contractuelle

13 janvier 2010
Par Me Antonio Iacovelli

Tout contrat d’entreprise engendre pour le client l’obligation d’en payer le prix. Toutefois, cette obligation peut être tempérée en vertu de certains droits de rétention prévus au Code civil du Québec (C.c.Q.), notamment celui prévu à l’article 2111 C.c.Q. Cet article permet au client de retenir sur le prix une somme suffisante pour satisfaire aux réserves faites quant aux vices ou malfaçons apparents qui existaient lors de la réception de l'ouvrage jusqu'à ce que l’entrepreneur fasse les réparations ou les corrections à l'ouvrage. Toutefois, ce même article 2111 interdit au client d’exercer son droit à la retenue si l'entrepreneur lui fournit une sûreté suffisante garantissant l'exécution de ses obligations.

 

Compte tenu de la formulation de l’article, on peut s’interroger à savoir s’il y a lieu de permettre une telle substitution lorsque la réception ou non de l’ouvrage est contestée par les parties et que la question de l’existence même de vices ou malfaçons apparents fait l’objet d’un débat. Dans un tel cas, l’article 2111 trouve-t-il application ? La Cour supérieure en date du 26 juin dernier a répondu non à ces questions dans la cause portant l’intitulé Construction Edelweiss inc. c. Municipalité de Pontiac.

 

Les faits
La Municipalité de Pontiac (la « Municipalité ») s’entend avec Construction Edelweiss inc. (« Edelweiss ») pour des travaux de pavage des chemins. Le contrat est d’une valeur de 1 766 217,65 $.

 

Bien que les travaux semblent s'être terminés à la fin 2007, en novembre ou décembre, il n’existe aucun document faisant état de l'acceptation des travaux ou de leur réception. Il n’existe qu’une lettre de la Municipalité faisant état d'une liste préliminaire des déficiences qui, quant à Edelweiss, indique qu’en effet il y a eu réception des travaux. Loin d’être d’accord sur ce point, le passage suivant d’une lettre du procureur d’Edelweiss à la Municipalité datée du 22 septembre 2008 illustre bien le différend :

 

« Nous accusons réception de votre lettre du 18 septembre 2008. Dans un premier temps, nous sommes surpris de l'utilisation de l'expression " travaux correctifs" en vue de l'acceptation provisoire des travaux alors que l'acceptation provisoire a eu lieu depuis décembre 2007, date à laquelle les travaux ont été complétés et que les ouvrages ont été remis à la municipalité. »

 

Outre la réception des travaux, les parties ne s’entendent d’autant moins sur l’existence que sur la qualité de ceux-ci. La Municipalité passe une résolution assujettissant tout paiement à l’approbation d’une firme experte. Après deux expertises, la Municipalité en vient à la conclusion que le prix pour corriger les déficiences qu’elle allègue est de l’ordre de 620 000 $ alors qu’Edelweiss, tout en niant l’existence de telles déficiences, réclame toujours que la Municipalité lui restitue la somme de 571 278,52 $ qu’elle détient à titre de retenue contractuelle.

 

Edelweiss poursuit donc la Municipalité pour le montant de 571 278,52 $ alors que la Municipalité se porte à la fois défenderesse et demanderesse reconventionnelle pour un montant de 695 000 $.

 

Par voie de requête fondée sur l’article 2111 C.c.Q., le procureur propose à la Cour de substituer à la retenue contractuelle une « garantie suffisante » au sens de cet article déposée au dossier de la Cour « pour satisfaire aux réserves faites quant aux vices et malfaçons apparents qui existaient lors de la réception de l'ouvrage ». Le deuxième alinéa de l’article 2111 C.c.Q. se lit comme suit :

 

« Lors du paiement, [le client] peut retenir sur le prix, jusqu'à ce que les réparations ou les corrections soient faites à l'ouvrage, une somme suffisante pour satisfaire aux réserves faites quant aux vices ou malfaçons apparents qui
existaient lors de la réception de l'ouvrage. »

 

La décision du tribunal
La Cour reconnaît d’emblée qu’il soit normal qu’un entrepreneur veuille récupérer dès que possible la retenue contractuelle afférente à son contrat et qu’un procureur tente par tous les moyens légaux de la récupérer.

 

Toutefois, le tribunal remarque qu’il n’existe aucun cas dans la jurisprudence traitant de l’article 2111 C.c.Q. semblable à celui de l’espèce. Les seuls cas ayant été retracés sont ceux où l’entrepreneur s’engage à corriger des déficiences et la relation contractuelle entre entrepreneur et client est maintenue. Dans ces cas, le débat porte plutôt sur la nomination d’un expert ou encore sur la valeur des déficiences apparentes justifiant une retenue contractuelle ou une  garantie équivalente tandis que dans le cas qui nous occupe, le débat porte sur la question de savoir si l'article 2111 C.c.Q. peut s’appliquer malgré que les parties contestent à la fois l'acceptation des travaux ou leur réception et l’existence de vices apparents ou cachés.

 

Selon la Cour, il est clair que l’article 2111 C.c.Q. s’applique à des situations où la réception des travaux a eu lieu et où il est question de vices apparents que l’entrepreneur a l’intention de réparer.

 

Or, la Cour envisage le but de cet article comme étant celui de permettre la gestion des mésententes entre le client et l'entrepreneur portant sur les déficiences apparentes que l'entrepreneur a l'intention de réparer, suite à la réception des travaux par le client. Donc, en vertu des articles 2111 et 2112 C.c.Q. l’on peut remplacer la retenue contractuelle par une autre garantie et un expert peut déterminer le coût des déficiences.

 

Compte tenu que dans le cas opposant Edelweiss à la Municipalité ces mêmes éléments de réception d’ouvrage et d’existence de vices apparents font l’objet d’une contestation, le tribunal en vient à la conclusion que l’article 2111 C.c.Q. ne peut s’appliquer.

 

Il fallait s’attendre à ce qu’Edelweiss soit insatisfaite d’une telle décision et, comme de fait, elle l’a inscrite en appel. Ce sera à suivre !

 


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