Les travaux ont une fin, mais quand survient-elle ?

7 mai 2012
Me Antonio Iacovelli

Le Code civil du Québec (« CCQ ») confère à certains intervenants impliqués dans la réalisation d’un projet de construction, le droit de bénéficier de l’hypothèque légale de la construction. Celle-ci est acquise en « faveur des architecte, ingénieur, fournisseur de matériaux, ouvrier, entrepreneur ou sous-entrepreneur, à raison des travaux demandés par le propriétaire de l'immeuble, ou à raison des matériaux ou services qu'ils ont fournis ou préparés pour ces travaux » ; c’est ce qu’énonce l’article 2726 CCQ. À l’exception de l’ouvrier, les bénéficiaires potentiels qui n’ont pas contracté directement avec le propriétaire de l’immeuble ne peuvent bénéficier d’une hypothèque légale à moins de valablement dénoncer leur contrat.

 

L’article suivant, soit 2727 CCQ, énonce quant à lui que l'« hypothèque légale en faveur des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d'un immeuble subsiste, quoiqu'elle n'ait pas été publiée, pendant les 30 jours qui suivent la fin des travaux ». L’hypothèque légale de la construction, afin qu’elle soit recevable, doit donc être publiée au plus tard 30 jours après la fin des travaux. Mais qu’en est-il de cette « fin des travaux » ? Quand survient-elle ?

 

Afin de répondre aux questions précédentes, nous nous référons à l’article 2110 CCQ  au sujet de la réception de l’ouvrage : « Le client est tenu de recevoir l'ouvrage à la fin des travaux ; celle-ci a lieu lorsque l'ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l'usage auquel on le destine ». Donc, la fin des travaux survient lorsque l’ouvrage est en état de servir conformément à l’usage auquel il est destiné.

 

Toujours confus ? Vous n’êtes pas seuls. La jurisprudence qui traite la question de la fin des travaux est abondante, ce qui veut dire que, dans les faits, la survenance de la fin des travaux n’est pas toujours d’une clarté limpide et les justiciables s’adressent souvent aux tribunaux afin que ceux-ci tranchent la question à savoir « à quand remonte la date de la fin des travaux ».

 

La jurisprudence qui découle des décisions portant sur la fin des travaux nous enseigne que celle-ci survient quand l’ouvrage est prêt avec tout ce qui est inclus au contrat.

 

Prenons l’exemple de la réfection d’une toiture qui est presque complétée sauf pour l’installation d’un larmier remis à un mois plus tard. Même si l’installation du larmier peut représenter qu’une partie relativement mineure de la réfection totale d’une toiture, si la pose du larmier est incluse au contrat en question, bien c’est au moment où le larmier est posé que survient alors la fin des travaux. Ainsi, le délai de 30 jours ne commence à compter qu’à partir de la pose du larmier [1].

 

Ainsi, lorsque les travaux ne sont pas prévus au contrat, leur inexécution ne retarde pas la fin des travaux dans la mesure où leur inexécution ne fait pas en sorte que l’ouvrage ne peut être utilisé. S’il reste encore d’autres travaux à exécuter avant que l’ouvrage puisse être utilisé, on ne peut conclure qu’il y a fin des travaux.

 

Ce dernier critère est aussi important car il porte sur la notion figurant à l’article 2110 CCQ voulant que l’ouvrage doit être apte à l’usage auquel il est destiné. L’impact de ce critère se fait ressentir dans le cadre de projets où plusieurs sous-entrepreneurs exercent leur travail sous des contrats distincts. Il n’y a pas de multiples fins des travaux propres aux divers sous-traitants mais une seule et unique fin des travaux survenant lorsque le dernier sous-entrepreneur a exécuté de façon intégrale son contrat et que l’ouvrage est prêt à être utilisé.

 

Application des principes

Le 19 décembre 2011, ces principes ont guidé de nouveau les tribunaux dans l’affaire Les Placements Maléjo inc. c. Construction Richard Lavoie & associés inc. où la Cour supérieure a reconnu que l’avis d’hypothèque légale d’un entrepreneur en construction avait été publié avant l’expiration du délai de 30 jours prévu par l’article 2727 CCQ.

 

Dans cette affaire, Construction Richard Lavoie & associés inc. (ci-après « Lavoie »), dont les services avaient été retenus pour des travaux de menuiserie conformément à un contrat conclu le 28 octobre 2010, avait publié un avis d’hypothèque légale sur l’immeuble concerné en date du 11 avril 2011, lequel appartenait à Les Placements Maléjo inc. (« Maléjo »).

 

Maléjo s’est adressée au tribunal pour obtenir la radiation de l’hypothèque légale de Lavoie en alléguant que la fin des travaux était survenue le 25 février 2011 et que la publication par Lavoie de son hypothèque légale en date du 11 avril 2011 était donc tardive.

 

Une série de témoins est venue affirmer au tribunal que tout était terminé en date du 25 février 2011 et que l’immeuble – en l’espèce un immeuble à logements – était prêt pour accueillir les premiers locataires.

 

Sauf qu’il restait des travaux de revêtement extérieur qui étaient projetés mais reportés au printemps et qui ont finalement été réalisés du 13 au 26 mai 2011 par un tiers, Artek Constructions inc.

 

Cependant, la cour, en évaluant la preuve testimoniale faute de précisions écrites au contrat du 28 octobre 2010, en est arrivée à la conclusion que ces travaux avaient initialement été confiés à Lavoie dans le cadre du contrat du 28 octobre 2010 et que, n’eût été d’un différend entre Maléjo et Lavoie, c’est cette dernière qui les aurait complétés et non le tiers.

 

Ainsi, la cour décide que bien que les logements de l’immeuble étaient prêts à être habités le 25 février 2011, l’ouvrage prévu au contrat du 28 octobre 2010 n’était pas complètement terminé, puisqu’il restait toujours les travaux de revêtement extérieur. Le tribunal nous rappelle que « de menus travaux, telles la pose de double-fenêtres, de coupe-feu, de métal autour d’une cheminée retardent la fin des travaux ».

La cour statue, donc, que la fin des travaux est survenue en date du 26 mai 2011 et que, de ce fait, l’hypothèque légale de Lavoie a été publiée avant l’expiration du délai prévu par la loi.

 

1. Couvertures nationales inc. c. 9179-0063 Québec inc. et als., 500-22-172841-101, jugement de l’honorable Jacques Paquet, j.c.Q., 6 mai 2011.

 


Pour toute question ou commentaire, n’hésitez pas à communiquer avec l’auteur de cette chronique par courriel à aiacovelli@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5483.


Miller Thomson

 

Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 1er mai 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !