[COVID-19] Un retour au chantier, pas à la normale

Marie Gagnon

Le 11 mai, tous les chantiers de la province bourdonneront à nouveau d’activité. Mais cette reprise, aussi souhaitée que souhaitable, n’annonce pas pour autant le retour à la normale.

 

Bien au contraire. Les mesures d’hygiène et de distanciation sociale posent aux entrepreneurs de nouveaux défis, autant au chapitre de la planification des travaux que de l’organisation du chantier.

 

« C’est sûr que ça ne sera plus comme avant, il n’y a plus rien d’acquis, affirme d’entrée de jeu Éric Côté, président-directeur général de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ). Il va falloir mettre un contrôle à l’entrée, adapter les horaires, revoir les méthodes de travail. Les entrepreneurs vont devoir s’adapter, ils n’auront pas le choix d’apprendre à faire autrement. »

 

Jean-Yves Morissette, président de Construction Dinamo, en sait quelque chose. De retour au travail depuis le 20 avril, il en voit déjà les répercussions sur ses activités. « On vient rajouter des procédures, du contrôle et du temps, dit-il. On peut penser que ça va avoir un impact sur les couts mais aussi sur la durée des travaux, parce qu’on ne peut pas mettre autant de travailleurs simultanément au même endroit. »

 

Planifier plus

Selon lui, la clé réside dans la préparation. « Pour chacun de nos projets, on a élaboré un plan de travail et des mesures sanitaires spécifiques en fonction de sa configuration. On a même fait une répétition sur un de nos chantiers, pour voir si des points accrochaient et s’ajuster si nécessaire avant le retour. »

 

En plus des stations de lavage des mains et du questionnaire à l’entrée, Construction Dinamo a décalé les heures de repas et de repos, fait installer des escaliers à sens unique sur certains projets et planifié, de façon très pointue, les affectations des travailleurs pour maintenir les distances prescrites. Jean-Yves Morissette précise que tous, travailleurs et sous-traitants, ont reçu ce « plan de match » et ont convenu d’y adhérer.

 

Directeur du service de prévention et de santé et sécurité du travail de l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ), Luc Boily dit travailler à certains accommodements avec le comité CNESST – Chantiers COVID-19. « La distanciation sociale reste le plus grand défi mais, dans la réalité, ce n’est pas toujours possible, relève-t-il.

 

« Dans le génie civil, le transport des travailleurs se fait souvent par autobus ou camionnette, mais on nous dit de réduire le taux d’occupation des véhicules de 50 pour cent, illustre-t-il. On croit que, pour le transport, le masque serait facilitant même s’il ne peut pas remplacer la distanciation sociale et le lavage des mains, fait-il valoir. L’Institut national de santé publique doit d’ailleurs nous revenir avec des propositions sur le port du masque, mais au début, ils y étaient carrément opposés, sauf en dernier recours. »

 

D’autres défis à relever

D’autres questions devront également être discutées au retour, sinon avant. Comme celle des couts engendrés par ces nouvelles mesures. Si la situation devait s’éterniser, ils seront éventuellement inclus dans les couts des projets, au même titre que les autres mesures de prévention prévues au Code de sécurité pour les travaux de construction (CSTC). Pour les projets en cours, ça reste à voir.

 

Les entrepreneurs devront également composer avec des échéanciers écourtés et des dates butoir à respecter. Si certaines ententes pourront être renégociées, d’autres projets devront faire l’objet d’une planification resserrée. À condition, bien sûr, que la main-d’œuvre soit au rendez-vous pour répondre aux attentes.

 

On craint en effet que des travailleurs ne réintègrent pas l’industrie, que ce soit pour des raisons familiales, de condition médicale coexistante ou simplement parce qu’ils préfèrent attendre un vaccin pour retourner au travail. Bref, la pénurie qui sévissait avant la pandémie pourrait s’aggraver au retour.

 

Le cas échéant, ce manque d’effectifs, conjugué à une cadence alourdie par les contraintes sanitaires, se fera sentir sur les échéanciers et les marges bénéficiaires. Cette perte de productivité pourrait cependant être compensée par de nouvelles façons de faire. « Le défi de l’heure, c’est la gestion du changement, soutient Éric Côté. Ceux qui vont innover auront plus de facilité à passer au travers. »

 

Un exemple? Le chantier du REM, qui mobilise quelque 3 000 paires de bras. Pour accélérer l’accès aux sites des travaux, on a mis au point une appli qui permet de répondre aux trois questions d’usage à partir d’un téléphone portable. On imagine le temps épargné à désinfecter tout le matériel entre chaque déclaration lorsqu’un formulaire est utilisé.

 

Mais encore faut-il que l’économie retrouve sa vigueur, avance Jean-Yves Morissette. « À court terme, l’industrie devrait redécoller avec le même élan qu’auparavant, dit-il. À plus long terme, ça va dépendre du nombre de projets et de la capacité du marché à soutenir le potentiel de l’industrie. Mais il faut rester confiants. »

 

Une opinion que partage Maryse Poupart, présidente d’Isolation Algon, qui s’attend à un recul dans le marché des résidences pour ainés. « La crise va peut-être modérer les transports de certains, croit-elle. Par exemple, les résidences pour personnes âgées, il s’en construisait beaucoup. Sauf que, présentement, les résidents ne peuvent pas en sortir. Les gens vont peut-être y penser deux fois avant de s’en aller dans une résidence. »

 

COVID-19 et construction

Parce que le coronavirus impacte l’industrie, Constructo
s’affaire au suivi de tous les développements en la matière.