La déconstruction du pont Champlain : démolir en trois temps durables

1 avril 2020
Par Marie Gagnon

La déconstruction du pont Champlain s’orchestrera en trois temps forts : valorisation des matériaux, mise en valeur du site et protection de l’environnement.

Figure emblématique de Montréal depuis 1962, le pont Champlain sera démoli, au terme de 57 années de loyaux services. Mais pas n’importe comment. Les Ponts Jacques Cartier et Champlain incorporée (PJCCI) exigent en effet que cette entreprise titanesque soit menée de façon exemplaire, suivant les grands principes du développement durable. L’ouvrage de 3,4 kilomètres sera donc déconstruit, pièce par pièce, en priorisant la préservation de l’environnement, la valorisation et la traçabilité des matériaux ainsi que la mise en valeur des espaces libérés au profit de la communauté.

 

S’il est encore trop tôt pour établir les paramètres de ce chantier évalué à 400 millions de dollars, on se doute que la déconstruction de l’imposante structure générera un volume phénoménal de matériaux. Selon les données de PJCCI, c’est près de 300 000 tonnes de débris dont il faudra disposer, soit quelque 250 000 tonnes de béton, 25 000 tonnes d’acier et 12 000 tonnes d’asphalte. Encore là, cette mise au rebut sélective devra se faire dans une optique écologique.

 

Donner une seconde vie

Car la société d’État entend déployer un programme de récupération des matériaux selon l’approche des 3RVE, à savoir réduire, réutiliser, recycler, valoriser et, en tout dernier recours, éliminer. Près de 80 pour cent des matières démantelées seront ainsi détournées de l’enfouissement. « Certains matériaux d’origine sont possiblement contaminés, indique Nathalie Lessard, directrice des communications de PJCCI. On pense entre autres à l’acier, dont la peinture peut contenir de l’amiante. Le cas échéant, ces matériaux devront être éliminés de façon responsable. »

 

 

La déconstruction du pont Champlain : démolir en trois temps durables. Image : Les Ponts Jacques Cartier et Champlain

 

Histoire d’assurer l’application rigoureuse de cet ambitieux programme de récupération, un système de traçabilité sera défini de concert avec l’entrepreneur. Le but : éviter que des matières encore utiles ne soient dirigées vers les décharges publiques. PJCCI croit en effet que certains éléments, comme les treillis modulaires, peuvent facilement avoir une deuxième vie. Même chose pour le béton et l’asphalte. Les granulats issus de ces résidus peuvent remplacer des matériaux de carrière et de sablière et, de ce fait, générer des gains environnementaux en limitant l’extraction de matières premières non renouvelables.

 

Certaines matières pourraient par ailleurs être réemployées dans la fabrication de mobiliers urbains ou inspirer des oeuvres artistiques, comme ce fut le cas lors du démantèlement du Bay Bridge, qui s’est achevé en 2018 à San Francisco. À partir d’éléments d’acier récupéré, l’artiste californienne Katy Boynton a créé Pier into the Past, une oeuvre monumentale inspirée de l’exposition internationale du Golden Gate en 1939.

 

Créer un milieu de vie

Plus près de nous, la déconstruction du pont Champlain libérera en berges environ sept hectares de terrain, ce qui permettra la réalisation d’aménagements – artistiques et utilitaires – comprenant en outre l’Estacade et la digue de la Voie maritime du Saint-Laurent. Ce genre d’aménagement devra toutefois s’inscrire dans un cadre prédéterminé baptisé Héritage Champlain, qui vise à témoigner de la présence du pont et à offrir à la collectivité un accès au fleuve.

 

Chapeauté par un comité conseil regroupant une quinzaine d’organisations, dont les municipalités riveraines et Héritage Montréal, ce projet commémoratif sera toutefois défini en collaboration avec la communauté. À cet effet, des journées de consultation publique et des ateliers de cocréation ont été tenus en juin et décembre derniers. Une plateforme a également été mise en ligne pour recueillir les suggestions des citoyens et groupes communautaires intéressés.

 

Jusqu’ici, trois grandes orientations s’en dégagent : favoriser l’accès au fleuve et l’appropriation de ses berges; soutenir la mobilité active en développant le réseau de sentiers et de pistes cyclables en rives; conserver un legs du passé dans la mémoire collective. « On veut éviter que le pont ne tombe dans l’oubli, note Nathalie Lessard. Il se peut que certaines piles soient conservées, mais rien n’est décidé encore. Et comme c’est juste dans quatre ans, on n’a donc pas fini de consulter. »

 

Respecter la vie

Elle indique au passage que, quelle que soit la méthode de déconstruction retenue, celle-ci devra limiter les répercussions sur la faune aquatique et terrestre. Le pont Champlain est en effet situé dans un milieu riche en termes de biodiversité, caractérisé par la présence d’habitats aquatiques et de zones migratoires aviaires. Les semelles du pont, par exemple, en accumulant quantités de sédiments au fil des décennies, sont aujourd’hui des milieux de vie pour plusieurs espèces animales.

 

« Il est possible que les semelles restent en place, on n’a pas encore statué, mentionne la gestionnaire. Pour ce qui est des jetées temporaires, c’est certain que le constructeur va en aménager pour permettre l’approche des barges, car le niveau d’eau est très bas près des rives. Peut-être qu’elles seront construites sur pilotis, mais encore là, c’est l’entrepreneur qui décidera. Chose certaine, elles ne seront pas construites en période de frai. »

 

L’entrepreneur devra également mettre en oeuvre diverses mesures pour réduire les nuisances aux riverains. Au chapitre sonore, l’entrepreneur devra respecter certaines limites de bruit, établies par PJCCI. Il devra notamment installer des écrans antibruit, prévoir des amortisseurs pour atténuer l’impact des battants des camions-bennes et limiter la vitesse des camions. Autant que possible, le transport des matériaux devra se faire en dehors des heures de pointe et éviter les zones résidentielles. Et les camions devront être recouverts de bâches pour empêcher la dispersion des poussières.

 

Avec l’ensemble de ces mesures, PJCCI espère obtenir la reconnaissance Envision, qui touche les volets environnementaux et sociaux des projets d’infrastructures. Administrée par l’Institute for Sustainable Infrastructure, cette certification s’appuie sur cinq thèmes, soit la qualité de vie, la gestion de projet, les ressources, l’écologie et l’empreinte environnementale.

 

RECHERCHES DURABLES

La démolition sélective du pont Champlain offre une chance unique de faire évoluer, de façon significative, le savoir en lien avec la performance et la durabilité des infrastructures. Un concours, lancé en juin 2019 auprès de centres de recherche canadiens, a permis à PJCCI de sélectionner dix projets qui seront réalisés parallèlement à la déconstruction. Parmi ceux-ci on remarque :

  • Techniques d’évaluation de l’état du pont Champlain après 57 ans de service – Université d’Ottawa
  • Performance mécanique et durabilité d’éléments de béton du pont – Université Laval
  • Performance des renforcements par polymères renforcés de fibres de carbone et modèle de prédiction de leur durée de vie – Université de Sherbrooke

 

 

 

SOUMISSIONNAIRE DÉVOILÉ

PJCCI ont annoncé le 5 mars 2020 que le soumissionnaire sélectionné pour la réalisation de la déconstruction du pont Champlain d’origine sera le consortium Nouvel Horizon St-Laurent formé de Pomerleau et Delsan-A.I.M. Environmental Services.

Le processus d’approvisionnement a débuté par un appel de qualification public, pour des services de conception-construction, qui s’est tenu du 8 mars au 28 mai 2019. Il a permis de sélectionner trois soumissionnaires qui ont été invités à déposer une proposition. Puis, l’appel de propositions sélectif pour des services de conception-construction a été lancé le 8 juillet 2019; les propositions ont été reçues le 4 février 2020.

L’évaluation des propositions comprenait six comités, qui ont évalué les trois propositions sur le plan de la conformité administrative, juridique et technique (incluant notamment la santé et sécurité, les exigences environnementales, la gestion de risques, l’échéancier, le transport et la circulation), en plus de l’innovation. Dans le calcul de la note finale, des poids respectifs de 10 % et 90 % ont été alloués aux critères de valorisation qualitative technique et au prix de soumission.