Matériaux rapidement renouvelables : bambou ou solution de remplacement ?

Par Mathieu Fleury, architecte, P.A. LEED BD+C

Un récent rapport du World Green Building Council présente et comptabilise les nombreux avantages des constructions durables, tant pour les propriétaires que pour les multiples intervenants de l’industrie. Si construire des bâtiments verts a longtemps constitué un défi de taille, la pratique s’est grandement simplifiée. L’industrie a acquis une maturité certaine : elle s’est structurée, bonifiée et généralisée. Difficile d’imaginer de l’acier sans contenu recyclé ou des colles à haute teneur en COV dans une construction neuve.

 

Malgré cette évolution rapide, les statistiques du CBDCa sur les crédits obtenus par les projets certifiés LEED nous informent que le crédit Matériaux et Ressources sur les matériaux rapidement renouvelables (MRC6) est rarement obtenu. En effet, seulement 1 % des projets actuellement certifiés au Canada ont obtenu le crédit. Les projets intégrant des matériaux rapidement renouvelables en quantité suffisante pour respecter les exigences du crédit demeurent donc très marginaux, du moins au Canada. Conséquemment, il semble que l’industrie est mûre pour une réflexion afin d’étudier les possibilités d’améliorer cette performance.

 

Le crédit MRC6 et les matériaux

Pour obtenir le crédit, un projet de construction doit intégrer 2,5 % de matériaux dits « rapidement renouvelables »,  pourcentage mesuré relativement au coût total de l’ensemble des matériaux. Un matériau est considéré comme étant rapidement renouvelable lorsque celui-ci peut être récolté au cours d’un cycle de 10 ans au maximum.

 

Plusieurs matériaux de construction courants et disponibles au Québec peuvent contribuer à l’atteinte de l’objectif visé. Le linoleum, à base d’huile de lin, les panneaux de fibres agricoles, les isolants à base de coton ou de soya constituent quelques exemples.  Un des plus connus, le bambou, est devenu au cours des dernières années un compétiteur sérieux dans le marché du plancher de bois. On le trouve également dans plusieurs autres matériaux de finition intérieure tels certains types de panneaux muraux, divers plafonds suspendus, de l’ameublement, etc.  

 

Quelle est la place du bambou dans les bâtiments durables, quels sont ses impacts environnementaux ? La question mérite réflexion.

 

Une plante étonnante

Le bambou est une plante de la famille des graminées. On le trouve sur la presque totalité des continents mais essentiellement en Asie. On en dénombre plus de 1 200 espèces différentes, adaptées à des climats variés, des déserts de l’Amérique du Sud jusqu’aux montagnes enneigées de l’Himalaya. Le bambou est remarquable de par sa très grande rapidité de croissance : certaines essences peuvent atteindre jusqu’à 46 mètres de hauteur en seulement six semaines. Cela signifie une croissance quotidienne de l’ordre de 1,3 m.

 

La tige du bambou produit une fibre semblable à celle du bois pouvant être utilisé pour plusieurs usages. Celle-ci est utilisée pour fabriquer des textiles, divers objets du quotidien et, évidemment, pour la fabrication de plusieurs matériaux de construction. La plante est très utile, possède une rapidité de croissance exceptionnelle et sa fibre est particulièrement versatile.

 

La nécessité d’un contrôle rigoureux

La rapidité de croissance du bambou et la possibilité de le récolter sans tuer la plante lui confèrent ses principaux avantages écologiques. Selon de nombreux experts, de manière générale, le bambou est positif dans son bilan environnemental.

 

Cependant, de nombreux facteurs doivent être considérés, de sa culture à son utilisation dans la construction. Le bambou est une plante agressive qui peut être envahissante. Elle se propage rapidement et sa culture doit être rigoureusement contrôlée afin de protéger les espaces naturels indigènes, la biodiversité. L’usage d’engrais et de pesticides doit également être limité afin d’obtenir ce bilan environnemental positif. La plante, tout comme les arbres de nos forêts, séquestre du carbone.

 

Lorsque sa fibre est utilisée pour la fabrication de produits à longue durée de vie, tels des matériaux de construction, le carbone demeure séquestré, contribuant ainsi à la réduction du taux de CO2 en présence dans l’atmosphère. Du fait de sa croissance extrêmement rapide, le bambou peut, dans une période de temps donnée, prétendre retirer plus de CO2 de l’atmosphère que toute autre plante.

 

Depuis peu, il est possible de se procurer des produits de bambou certifiés par le FSC (Forest Stewardship Council). Cela facilite grandement le travail des acteurs de l’industrie du bâtiment vert en diminuant le nombre de vérifications et de contrôles requis. Pour obtenir la certification, la plantation de bambou ne doit pas être irriguée, doit être cultivée sans pesticide et sa récolte doit être limitée à 20 % par année. Les matériaux à base de bambou certifiés demeurent toutefois marginaux.

 

Des impacts importants

La grande majorité du bambou utilisé dans le bâtiment étant importé de Chine, le long transport requis pour son utilisation chez nous vient entacher le bilan environnemental du produit. De plus, ce ne sont pas l’ensemble des plantations industrielles de l’Asie qui répondent à des normes environnementales de culture internationalement reconnues. Finalement, certains produits peuvent également contenir des colles à base d’urée-formaldéhyde, de même que des enduits de finition à haute teneur en COV.

 

Un bambou québécois ?

Il est possible d’imaginer que le bambou pourrait être cultivé au Québec. Les défis demeurent grands pour les entrepreneurs qui rêvent de commercialiser une variété québécoise. Quelle est celle qui peut s’adapter à notre climat ? Celle-ci sera-elle suffisamment productive pour répondre à la demande du marché ? Avec le bas coût de la main-d’œuvre dans les pays asiatiques, une production québécoise peut-elle être compétitive économiquement ?

 

Bref, si le bambou présente de nombreuses qualités, les réalités régionales doivent toujours être considérées avec attention avant de privilégier l’utilisation d’un matériau. Peut-être que la réponse au défi des matériaux rapidement renouvelables exige que l’on réfléchisse davantage aux possibilités offertes par les végétaux indigènes existant naturellement en grande quantité au Québec.

 

Il est toujours troublant de constater le nombre grandissant de terres agricoles abandonnées au Québec. Bien sûr, les terres fertiles et défrichées doivent, en premier lieu, servir à nourrir la population. En attendant qu’un système de gestion et de production agricole efficace, durable, flexible et viable soit enfin mis en place, comment utiliser ces terres, cette ressource naturelle à portée de main ? La réflexion demeure ouverte et il existe, hors de tout doute, un grand potentiel pour  les innovations québécoises.

 


L’auteur est architecte pour la firme Vachon & Roy, à Gaspé : mfleury@vachonroyarchitectes.com.

Paru dans

 

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 29 mars 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !