Le cohabitat s’imposera-t-il comme modèle de développement urbain ?

27 août 2012
Par Christian Chaloux

Le cohabitat arrive en sol québécois grâce au projet Cohabitat Québec. Ce style de vie inspiré d’un village devient enfin une réalité avec la construction de 42 habitations dans la grande ville de Québec en 2012.

 

Le mouvement du cohabitat, en vogue partout sur la planète, propose rien de moins qu’un regard neuf sur la manière de vivre au 21e siècle.

Portail Constructo s’est penché sur ce modèle d’habitation attirant de nombreux adeptes. Mais pour mener à bien ce type de projet, il faut s’inspirer de l’expérience des autres, selon ce que nous avons appris.

 

Entretien avec deux spécialistes du cohabitat, le directeur général du projet Cohabitat Québec, Michel Desgagnés et le Bruxellois Matthieu Lietaert, docteur en politique et spécialiste en cohabitat, qui était de passage au Québec, à l'été 2012, pour promouvoir le livre/DVD Le cohabitat - Reconstruisons des villages en ville.

 

Le livre/DVD Le cohabitat - Reconstruisons des villages en ville, par Matthieu Lietaert

 

Le cohabitat en quelques mots

Le cohabitat est la traduction du mot « cohousing », qui a changé les habitudes de vie de milliers d'Européens depuis son apparition au Danemark, dans les années 1960.

 

Ce qui distingue un cohabitat d’un projet en copropriété est l’aménagement d’espaces communs qui répondent aux besoins des résidents. « Pour vivre dans un cohabitat, nous sommes obligés à prendre part à la vie commune. C’est fondamental. Mais quand le résident entre chez lui, car tout le monde a sa propre maison ou son appartement, il retrouve son intimité », explique d’entrée de jeu, Matthieu Lietaert.

 

Réflexion en groupe avec l’architecte

Les futurs résidents participent, dès la conception des plans architecturaux, à la planification de leur cohabitat afin de personnaliser leur milieu de vie. Un promoteur peut amorcer un projet, mais doit solliciter les résidents dès le début du processus de création.

 

Le Réseau canadien des cohabitats souligne que si « la planification n’a pas requis la participation des résidents, [le projet] pourra être considéré comme étant inspiré du concept du cohabitat, mais ne constituera pas, dans les faits, un véritable cohabitat ».

 

Matthieu Lietaert ajoute que le coût du logement, spécialement en Europe, rend de plus en plus attrayant le développement des cohabitats.

« Le problème dans les villes d’aujourd’hui est que le mètre carré urbain coûte de plus en plus cher et il y en a de moins en moins. Ce qui est intéressant [avec le cohabitat], c’est que grâce aux espaces communs, les résidents peuvent partager une partie de leur espace privé. Donc, si on offre 20 % de notre espace privé, multiplié avec les autres cohabitants, on a donc une superficie commune plus grande. Les économies d’échelle sont donc possibles dans un cohabitat.»

 

Bienvenue à tous

Plusieurs espaces communautaires sont ainsi aménagés comme une salle à manger, une chambre d’ami, un jardin et d’autres commodités. Les voitures, selon le concept initial, seront installées en périphérie du complexe.

 

« Nous sommes vraiment dans l’amélioration directe de la vie quotidienne des gens », précise Matthieu Lietaert. 

 

Matthieu Lietaert, docteur en politique et spécialiste en cohabitat.

 

Une idée née dans les années 1960

La paternité du mode de vie en cohabitat est attribuée à l’architecte danois Jan Gudmand-Hoyer. Après des mois de gestation en 1963, l’architecte et un groupe d’amis décident d’acheter un terrain en banlieue de Copenhague afin d’ériger une douzaine de maisons.

 

Le projet a soulevé l’ire du voisinage et il fut abandonné rapidement. Ce n’est qu’une décennie plus tard que deux groupes, dont celui de Gudman-Hoyer, mènent à terme les premiers projets de cohabitats qui avaient bénéficié à l’époque d’un engouement populaire après la publication de nombreux articles dans les médias danois.

 

La communication au cœur du processus

Lancer un projet de cohabitat est aussi ardu au Québec que lors de ses premiers balbutiements au Danemark, il y a plus de 40 ans. L’exemple de Cohabitat Québec, un projet de 42 unités de logement au coût de plus de 11 millions $ en est un de ténacité. Deux projets ont été mis en branle avant de voir le chantier démarrer.

 

Michel Desgagnés a participé aux premières esquisses du projet en 2004 avant d’occuper les fonctions de président et directeur général de Cohabitat Québec dans le second projet qui a démarré en 2012. Avant d’entreprendre le chantier et mener à terme un projet, la communication est au cœur du succès ou d’un échec d’un projet de cohabitat.

 

Le défi principal à surmonter est de concevoir les plans et devis architecturaux en collaboration avec les services professionnels afin que les idées soient réalisables et rentables. Cohabitat Québec a œuvré avec trois firmes d’architectes avant de choisir son concept.

 

« J’ai visité une soixantaine de projets dans le monde, explique M. Desgagnés. Ce que j’ai appris de leurs expériences, c’est que les architectes ne sont pas habitués à colliger les demandes de nombreuses personnes dans un groupe. »

 

Précisons que l’expertise québécoise dans les projets de cohabitat est inexistante dans la décennie 2000. Cohabitat Québec a été le premier projet à voir le jour dans la province. Au Canada, une dizaine de projets ont été réalisés et une dizaine d’autres sont sur les tables à dessin.

 

L’expert européen Matthieu Lietaert abonde dans le même sens.

 

« Quand un architecte se lance dans un projet de cohabitat, il y a plusieurs personnes à parler. Ça peut aller facilement de 20, 30 ou 40 adultes. Les professionnels se retrouvent avec des gens qui sont proactifs, spécialement dans les espaces communs. L’architecte de son côté doit trouver un moyen pour canaliser les demandes tout en exécutant son travail dans les délais. Mais les professionnels réalisent qu’ils ne peuvent concevoir un cohabitat comme on mène un projet d’habitation normal », ajoute M. Lietaert, qui est en pleine conception d’un projet de cohabitat en Belgique.

 

Une fois que les plans et devis sont conçus, le chantier se déroule cependant comme un projet de développement résidentiel de grande envergure.

 

Différence entre l’Europe et l’Amérique du Nord

L’Amérique du Nord a développé le modèle danois au fils des ans. Les bâtiments sont horizontaux, indique Matthieu Lietaert, comme dans un village. En Europe, l’espace disponible modifie la conception des cohabitats. « La différence est importante, spécialement dans la conception des lieux communs. En Suède par exemple, où l’on construit des tours d’habitation de 15 et 20 étages, il est important de penser que les personnes qui entrent dans l’immeuble doivent passer par les espaces communs. Il faut que ce soit attrayant pour que les résidents aient envie d’utiliser ces espaces. »

 

Avec 500 projets en développement au Danemark, 150 aux États-Unis et une dizaine au Canada, le modèle de cohabitat est en constante évolution et son attrait demeure indéniable pour de multiples groupes à la recherche d’un milieu de vie stimulant et sécuritaire. Pour l'industrie, la volonté de réaliser un projet résidentiel unique semble donc l'ingrédient essentiel à la réalisation d'un cohabitat.

 

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