12 novembre 2014
Par Luc-Etienne Rouillard Lafond

 

Le sud-ouest montréalais, secteur historique du développement industriel et économique de la métropole, compte plusieurs bâtiments d'envergure menés vers la désuétude par le passage du temps. Symboles d'une époque révolue, leur reconversion représente néanmoins une opportunité intéressante de développement.

 

Le Nordelec

Construite en 1913, l'ancienne manufacture de la Northern Electric, située près du canal de Lachine, est l'un des édifices patrimoniaux en brique les plus imposants en Amérique du Nord. Depuis 2012, Elad Canada le transforme, selon les plans élaborés par Lemay+CHA et Humà Design, en un bâtiment mixte, Le Nordelec. Le projet comprend l'aménagement de logements, dans les trois étages supérieurs, le prolongement des ailes existantes ainsi que la transformation du rez-de-chaussée en galerie marchande.

 

Une telle transformation force nécessairement une nouvelle définition des exigences, puisque plusieurs éléments sont souvent arrivés à la fin de leur vie utile : « Pour la plomberie, par exemple, au lieu de desservir un étage qui n'a qu'un occupant, ce sont des logements avec des salles de bain, des cuisines », explique Aurèle Cardinal, associé senior et architecte urbaniste chez Lemay+CHA.

 

Aussi, pour donner une seconde vie à l'édifice, les architectes l'ont transformé de fond en comble, en tentant de conserver le cachet qui lui est propre. « On a gardé l'enveloppe, la structure intérieure, l'architecture des plafonds, qui sont voûtés, même si ça aurait été plus facile de mettre un gyproc et de faire un plafond blanc. »

 

Cette reconversion, jumelée à une construction neuve, a forcé les architectes à procéder à une mise aux normes de l'édifice en matière d'efficacité énergétique et de sécurité, notamment pour le cloisonnement coupe-feu et l'accès aux sorties de sécurité.

 

« Il y a eu beaucoup de discussions sur la protection contre le feu, explique l'architecte, parce que c'est construit en brique et que ce n'était pas une dalle de béton. Mais finalement on a trouvé des technologies pour s'assurer que l'on respecte tous les codes. On a par exemple refait la finition pour garder ce qui était là, en utilisant du crépit de béton avec un certain degré de résistance au feu. »

 

Transformer la vocation

Pour Aurèle Cardinal, la conversion d'un bâtiment patrimonial représente davantage qu'un simple recyclage, mais plutôt une transformation de sa vocation. Il prend en exemple le développement de la Cité du multimédia, dans le quartier montréalais appelé autrefois Faubourg des Récollets, un secteur industriel à une époque situé en périphérie de la ville, près du port.

 

« Aujourd'hui, c'est un espace devenu très central, dans l'extension du centre-ville. Une zone d'emploi, mais au lieu d'être des entrepôts pour stocker des marchandises qui seront transbordées d'un bateau à d'autres modes de communication, c'est devenu orienté sur les multimédias. Ça donne un second souffle et ça garde le caractère d'une ville. »

 

Cette requalification des édifices anciennement industriels a été rendue nécessaire par une évolution des besoins contemporains inhérents à cette vocation. Elle permet cependant l'aménagement d'espaces impossibles à recréer par une construction neuve.

 

« Aujourd'hui, les processus industriels sont tellement à grande échelle, robotisés, technologiques, que ça ne peut plus se faire dans ce type de bâtiment, avance-t-il. Par contre, de les recycler en résidentiel, ça donne des espaces magnifiques, intéressants, que l'on ne pourrait pas faire aujourd'hui. »

 

Un devoir de mémoire

Le moteur de conception du Nordelec était la conservation de l'authenticité historique. « Toute la thématique de l'aménagement intérieur essayait de reprendre des éléments de facture industrielle, de rappeler l'histoire, que ça a été un bâtiment où l'on a construit, où l'on a fabriqué », relate M. Cardinal. Pour ce faire, Lemay+CHA a notamment conservé la volumétrie des étages et aménagé des mezzanines.

 

Ce souci d'authenticité s'inscrit dans une volonté de préserver le caractère et la personnalité de la ville. « Sans ça, nous ferons des villes un peu uniformisées à la grandeur du monde, explique l'architecte. Il faut garder des morceaux de ces villes, avec leur identité, et construire à travers cela de nouvelles choses qui sont compatibles. »

 

Cette conception ne représente donc pas une négation de la modernité, mais plutôt une rencontre entre les époques. « Ça ne veut pas dire que ce sont des copies, la même architecture que les bâtiments d'origine, explique l'architecte. On intègre des choses contemporaines et on garde l'échelle, le tissu, le caractère, l'ambiance. »

 

Une valeur ajoutée

La conversion du bâtiment ajoute une valeur ajoutée par rapport à un bâtiment neuf et représente une occasion d'affaires pour les développeurs, selon Aurèle Cardinal : « Pourquoi aller rester au Nordelec si c'est un logement pareil à celui qu'on pourrait avoir dans un secteur qui répond davantage aux normes d'aujourd'hui ? Parce que l'on trouve quelque chose de spécial que l'on ne trouvera pas ailleurs. »

 

En plus du cachet qu'ils apportent, les anciens bâtiments industriels offrent un volume difficilement reproduit par des constructions neuves, en raison des coûts qu'ils engendrent. Or, ces particularités savent trouver une clientèle, selon l'architecte : « Ça s'adresse à des gens qui cherchent ça, mais il y a de plus en plus une clientèle qui recherche cet élément. N'importe quelle ville dans le monde que l'on visite, c'est pour ces choses-là ! »

 

Si aucun autre bâtiment patrimonial  montréalais n'a l'envergure du Nordelec, Aurèle Cardinal prévoit que la transformation des édifices historiques de la métropole se poursuivra dans les années à venir : « Il y en a une certaine quantité, encore, le long du canal de Lachine. On en fait un peu dans le secteur de Griffintown, car il y a plusieurs bâtiments de ce type. Ça commence à migrer vers des secteurs un peu plus près de la rue Saint-Laurent, dans le secteur du Mile-End. »