15 mai 2018
Par Marie Gagnon

Des technologies de pointe s’invitent au chantier pour le rendre plus efficace, mais aussi plus sécuritaire.

À l’Université Concordia, le professeur Amin Hammad et ses collègues de l’Institut d’ingénierie des systèmes d’information (IISI) sont convaincus que les technologies de pointe peuvent bonifier la productivité et la sécurité des chantiers. Si leur vision se concrétise, les grues, les excavatrices et autres équipements lourds ne se contenteront plus de colliger de l’information critique, ils pourront la transmettre aux opérateurs et même se parler entre eux.

 

« Il existe aujourd’hui des technologies pour augmenter la précision des interventions au chantier, note Amin Hammad. Je pense entre autres aux systèmes de guidage pour excavatrice, qui permettent d’indiquer à l’opérateur la profondeur, la pente et la distance de creusage. Maintenant, il est possible d’aller plus loin en intégrant, dans la gestion quotidienne du chantier, les outils de modélisation et les technologies de repérage, comme le GPS, la radiofréquence et les systèmes de localisation en temps réel. »

 

Au-delà du GPS

Bien que l’utilisation du GPS soit aujourd’hui pratique courante sur les chantiers, il reste qu’il est difficile et coûteux d’installer des capteurs sur chaque travailleur et chaque pièce d’équipement. C’est pourquoi, avec le concours d'étudiants du Département de génie du bâtiment, civil et environnemental, le professeur Hammad et son équipe ont poussé plus loin le concept de chantier intelligent afin d’analyser les activités qui s’y déroulent et de prévenir d’éventuels dangers.

 

Ensemble, ils ont développé un modèle de vision artificielle utilisant des caméras pour générer des images numériques de scènes réelles. Fondé sur l’apprentissage profond, ce modèle a la capacité de reconnaître ce qu’il voit et de faire des recommandations. « Presque tous les grands chantiers sont équipés de caméras de surveillance et elles peuvent capter un nombre infini d’images, indique Amin Hammad. Le défi, c’est d’analyser ces images et de traiter les données qu’elles fournissent. »

 

Pour y arriver, les chercheurs de Concordia se sont penchés sur les possibilités offertes par l’intelligence artificielle, un terme générique pour décrire la capacité d’un système ordiné à imiter les fonctions cognitives humaines, comme la résolution de problème, l’apprentissage et la reconnaissance des formes. Jusqu’ici, plusieurs méthodes de reconnaissance par images ont été développées, entre autres pour classifier les actions des travailleurs et des équipements.

 

Des images et des hommes

De son côté, l’équipe de monsieur Hammad s’est employée à élaborer une vaste base de données d’images de synthèse afin d’estimer la position et la posture des pièces mobiles des équipements lourds sous différents angles et conditions d’éclairage. Un exercice difficile qui nécessite de décomposer, section par section, les principales pièces de l’équipement afin que le système puisse les reconnaître en toutes circonstances.

 

Au chantier, ce modèle de vision artificielle trouve trois grandes applications : la détection et la simulation d’état en temps réel; l’optimisation de la sécurité en évitant les fausses alertes; et la planification de la trajectoire en temps réel. Autrement dit, cela signifie que le système peut, par exemple, reconnaître qu’une excavatrice se déplace sur ses chenilles, savoir si l’engin est en rotation et déterminer s’il remplit ou vide son godet.

 

« Le modèle permet de prédire les mouvements des engins et des travailleurs sur le site et de générer un index de risque afin d’améliorer la précision des activités de terrassement, dit le professeur Hammad. Mais il se limite à la gestion de l’équipement. C’est pourquoi nous travaillons maintenant à intégrer cette technologie dans la gestion globale du projet, où les décisions concernant la gestion de l’équipement ne sont plus fondées sur un seul engin, mais sur l’ensemble de la machinerie. »

 

Un mécanisme, deux niveaux

Baptisée « système multi-agents », cette nouvelle approche vise à combiner les technologies de guidage existantes avec les méthodes de gestion de la sécurité les plus poussées afin de soutenir les opérateurs de machinerie lourde. Pour ce faire, Amin Hammad et ses collègues ont mis au point un mécanisme à deux niveaux pour la prévention des collisions impliquant des équipements, dont l’efficacité a été démontrée par une étude de cas.

 

Ces recherches n’ont toutefois pas encore trouvé d’applications concrètes, relève le professeur Hammad. À l’heure actuelle, seule la technologie combinant vision artificielle et apprentissage profond est offerte par indus.ai, une jeune entreprise torontoise qui a d’ailleurs embauché l’un des étudiants de l’IISI pour mener à bien le développement de ses solutions d’intelligence artificielle.

 

Mais Amin Hammad rêve déjà des technologies du futur. « Il faut mettre au point des capteurs plus robustes et améliorer le traitement des données pour faciliter la prise de décision, dit-il. Il faudrait aussi développer un modèle semblable au BIM, mais pour les structures comme les ponts et les viaducs.

 

« Une autre voie intéressante, c’est l’approfondissement de l’interaction ordinateur-homme, notamment par la réalité augmentée, ajoute-t-il. Les drones sont là, les capteurs sont là, mais il manque la technologie. Et ça, c’est la responsabilité des entreprises du secteur des technologies de l’information. Nous, notre rôle, c’est de faire le pont entre la construction et l’informatique. »

 

MANQUE DE FONDS

L’innovation met souvent du temps à s’implanter dans l’industrie de la construction. Un état de fait qu’Amin Hammad attribue d’abord à sa fragmentation, mais aussi à l’absence d’incitatifs pour soutenir l’innovation. « Il faudrait un organisme comme le CRIAQ (Consortium de recherche et d’innovation en aérospatiale), dit-il. Il y a bien le CCI (Canadian Construction Innovations), mais son rôle est limité.

 

« L’idéal, ce serait que chaque projet public consacre un pourcentage de son budget à un fonds destiné à l’innovation en construction, avance-t-il. Même avec seulement 0,001 pour cent, des projets comme Turcot et le Réseau express métropolitain généreraient rapidement des fonds intéressants. »

 

 

 


Cet article est tiré du Supplément thématique – Équipement de chantier . Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !