Conflit avec l’entrepreneur : un sous-traitant peut-il abandonner le chantier ?

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5 août 2014 | Par Me Alexandre Lacasse, avocat

Selon le Code civil du Québec, un sous-traitant (ou un entrepreneur) ne peut résilier unilatéralement le contrat d’entreprise que pour un motif sérieux et encore, il ne peut abandonner le chantier à contretemps. Il doit également faire, avant d’abandonner le chantier, tout ce qui est immédiatement nécessaire pour prévenir une perte au client.

La loi est donc moins favorable à l’entrepreneur qu’au client, qui peut résilier unilatéralement en tout temps et sans motif le contrat d’entreprise. Les litiges entourant la résiliation unilatérale par le client sont nombreux et les tribunaux ont été appelés à intervenir à de nombreuses reprises pour définir les droits et obligations respectifs du client et de l’entrepreneur à la suite d’une telle résiliation, notamment en ce qui concerne les dommages qui peuvent ou ne peuvent pas être réclamés par l’entrepreneur.

 

Les jugements abordant la question d’une résiliation unilatérale par l’entrepreneur sont cependant plus rares.

 

L’affaire Simard Beaudry Construction inc. c. Construction Bob-Son inc., 2014 QCCA 1182, constitue une illustration d’une résiliation unilatérale par l’entrepreneur. Dans cette affaire, l’entrepreneur général Simard Beaudry avait retenu les services de Bob-Son pour un sous-contrat d’enlèvement et de disposition de pierre dynamitée dans le cadre de la construction d’un tunnel lié à la dérivation de la rivière Rupert sur le chantier Eastmain-1-A.

 

En cours d’exécution du contrat, deux litiges d’interprétation du contrat se manifestent entre Simard Beaudry et Bob-Son : d’une part, Bob-Son se plaint que le volume quotidien de pierre dynamitée à enlever est trop faible pour lui permettre de rentabiliser le contrat. D’autre part, Bob-Son se plaint que Simard Beaudry la rémunère en fonction du volume théorique de pierre dynamitée, plutôt qu’en fonction du volume réel.

 

Devant le refus clairement manifesté par Simard Beaudry de se plier aux demandes de Bob-Son, celle-ci considère qu’elle dispose d’un motif sérieux pour résilier le contrat et elle décide d’abandonner le chantier.

 

Simard Beaudry poursuit alors Bob-Son pour les coûts qu’elle a supportés pour compléter elle-même les travaux. Bob-Son réplique par une demande reconventionnelle dans laquelle elle réclame les montants que Simard Beaudry aurait dû lui verser selon son interprétation du contrat.

 

Quant à la question du volume moyen quotidien de pierre à enlever, le tribunal considère que le contrat ne prévoyait aucune garantie de volume minimal en faveur de Bob-Son et qu’il ne s’agissait donc pas d’un motif sérieux permettant la résiliation unilatérale du contrat, d’autant plus qu’une partie importante des équipements de Bob-Son était affectée à l’exécution d’un autre contrat pour Hydro-Québec non loin du chantier de Simard Beaudry, de sorte que Bob-Son n’aurait probablement pas été capable de faire face au volume de pierre qu’elle réclame.

 

En ce qui concerne le paiement en fonction du volume théorique ou réel, le tribunal retient l’interprétation de Bob-Son et confirme qu’elle avait droit d’être rémunérée en fonction du volume réel. Le tribunal considère qu’il s’agit d’un motif sérieux permettant la résiliation unilatérale puisqu’après seulement quelques mois d’exécution du contrat, la perte de Bob-Son était déjà de 400 000 $ à ce chapitre. Le refus de Simard Beaudry de payer Bob-Son selon la formule prévue au contrat pouvait effectivement avoir pour effet de contraindre Bob-Son à régler à rabais sa réclamation ou pire encore, la pousser à la faillite.

 

Enfin, la résiliation n’a pas été effectuée à contretemps puisque Simard Beaudry a continué les travaux d’enlèvement de la pierre dès le lendemain de l’abandon du chantier par Bob-Son, en embauchant plus de 70 % des employés de Bob-Son. Simard Beaudry avait même déjà prévu le coup en louant tous les équipements requis préalablement à l’abandon du chantier par Bob-Son, ce qui a mené le tribunal à qualifier ces événements « d’une planification bien orchestrée » par Simard Beaudry.

 

Le tribunal a donc rejeté la réclamation en dommages de Simard Beaudry et a condamné celle-ci à payer à Bob-Son les travaux effectués avant l’abandon du chantier en fonction du volume réel de la pierre dynamitée enlevée.