Peut-on revendiquer une hypothèque légale pour avoir fourni des plans et devis au stade du permis et des autorisations pour un projet, même si ceux-ci ne sont pas utilisés pour les travaux de construction?
Dans un récent arrêt, la Cour d’appel du Québec a répondu à cette question et a confirmé qu’une firme d’architecture pouvait valablement publier une hypothèque légale de la construction sur un immeuble, même si sa contribution était limitée à fournir des plans et devis ayant servi à obtenir les approbations nécessaires à un projet de transformation et rénovation d’un immeuble[1].
Chronologie du litige
En avril 2015, un promoteur immobilier (« Promoteur ») lance un projet de transformation d’un ancien pensionnat d’Outremont en un complexe résidentiel haut de gamme.
Le Promoteur fait alors appel à une firme d’architecture (« Architectes »), mandatée notamment pour assurer le maintien du zonage résidentiel, produire un plan d’implantation et d’intégration conforme à la réglementation et le soutenir dans ses démarches auprès des instances décisionnelles pour l’obtention des approbations requises. À cette fin, les Architectes préparent des plans et devis, lesquels sont révisés à plusieurs reprises afin de satisfaire aux exigences du comité consultatif d’urbanisme (CCU). Ultimement, le projet est autorisé selon les documents et plans réalisés par les Architectes.
Or, avant que ne s’amorcent les travaux, le Promoteur décide de confier la suite du mandat à une autre firme, laquelle préparera et émettra les plans et devis pour construction. Il met alors fin à la collaboration sans régler l’intégralité des honoraires dus. Estimant que leur travail a contribué à la plus-value de l’immeuble, les architectes publient un avis d’hypothèque légale et un préavis d’exercice hypothécaire, avec l’intention de faire vendre l’immeuble sous contrôle de justice.
Des plans… sans chantier : donne-t-on quand même droit à une hypothèque légale ?
Le cœur du litige repose sur une question bien connue des professionnels de la construction : les services professionnels rendus au stade des permis et autorisations apportent-ils une valeur ajoutée à l’immeuble et sont-ils suffisants pour justifier une hypothèque légale, même si les travaux n’ont pas encore débuté et qu’une autre firme a repris le projet?
Le Promoteur soutient que non. Selon lui, les plans produits par les Architectes, bien qu’ils aient servi à sécuriser le zonage résidentiel et à obtenir des autorisations, n’ont jamais été utilisés pour exécuter les travaux. L’immeuble ayant finalement été rénové en employant les plans préparés par une autre firme d’architecture, aucun droit à l’hypothèque légale ne pourrait naître d’un travail sans lien direct avec la construction effective. Il ajoute que l’hypothèque a été publiée avant même le début des travaux, ce qui irait à l’encontre des conditions prévues par la loi.
De leur côté, les Architectes font valoir que leur travail a été déterminant dans l’obtention des autorisations et que leurs plans ont inspiré et/ou été repris par la firme d’architecture qui leur a succédé. Ils soutiennent que cette contribution, bien que moins tangible, a bel et bien apporté une valeur supplémentaire à l’immeuble – ce qui suffit, selon eux, à faire naître un droit à l’hypothèque légale.
Décision du tribunal
La validité d’une hypothèque légale de la construction est notamment conditionnelle à la contribution des travaux dans le projet et à l’existence d’une plus-value.
Sur ce premier point, les tribunaux ont une interprétation large de ce qui constitue des « travaux » admissibles. Il peut s’agir d’un apport direct à la construction, mais aussi d’une contribution à une étape essentielle de la réalisation d’un projet.
De plus, les travaux doivent avoir apporté une valeur ajoutée à l’immeuble, laquelle est évaluée en considérant l’ensemble des travaux réalisés pour le projet. Cette valeur ajoutée peut être démontrée par présomption simple : il suffira au créancier de prouver que les travaux exécutés sont de nature à augmenter la valeur économique de l’immeuble dans un contexte de libre marché. Cette présomption simple peut toutefois être renversée, mais le fardeau revient alors à la partie adverse.
En l’espèce, la Cour d’appel confirme que les services rendus par les Architectes pour obtenir les autorisations étaient nécessaires à la réalisation du projet, puisque sans ces autorisations, celui-ci n’aurait jamais eu lieu. Par ailleurs, bien que l’immeuble n’ait pas été rénové selon les plans des Architectes, leurs plans ont été utilisés par la seconde firme d’architecture à plusieurs reprises, notamment pour l’obtention de permis supplémentaires.
Aussi, bien qu’aucune plus-value ne puisse être rattachée spécifiquement aux services des Architectes, ces derniers ont été essentiels à la réalisation de l’ensemble des travaux de rénovation, lesquels ont apporté une plus-value à l’immeuble. Le tribunal reconnaît donc que les services rendus par les Architectes étaient de nature à faire augmenter sa valeur.
Par ailleurs, le fait qu’aucune rénovation n’avait été entamée au moment de la publication de l’hypothèque légale n’est pas un obstacle à la conclusion que les plans des Architectes ont participé à la valeur ajoutée de l’immeuble.
Ainsi, les Architectes étaient en droit d’inscrire une hypothèque légale.
Conclusion
En résumé, un professionnel peut établir son droit à une hypothèque légale – pourvu que son travail ait permis de faire avancer concrètement le projet. Un rappel important pour tous ceux qui interviennent en amont d’un chantier : leur contribution au stade préliminaire d’un projet peut donner ouverture au droit à l’hypothèque légale.
1. 9221-2323 Québec inc. c. Lemay Co inc., 2025 QCCA 99 (en appel de Lemay Co inc. c. 9221-2323 Québec inc., 2023 QCCS 1198)
Cet article est paru dans l’édition du 24 avril 2025 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.