Comment réconcilier les entrepreneurs en construction avec les appels d’offres publics

23 mars 2022
Par Diane Martin-Graser

Six organisations liées à l’industrie de la construction ont mandaté la firme Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) pour effectuer un état des lieux sur les relations d’affaires entre les entrepreneurs, les professionnels de l’industrie et les marchés publics.

Après de nombreux sondages, la firme a cerné de manière détaillée les facteurs ayant entrainé une baisse d’intérêt des entrepreneurs quant aux appels d’offres publics. Quelles en sont les véritables causes ? Retour sur une étude pertinente visant à améliorer les relations entre les parties prenantes.

 

Si le secteur public de la construction a connu une période d’effervescence entre 2015 et 2019, celui-ci rencontre actuellement des embuches quant à l’intérêt que suscitent les appels d’offres auprès des entrepreneurs et des professionnels. Face à ce contexte, les organisations telles que l’Association de la construction du Québec (ACQ), l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ), l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ), l’Association québécoise des entrepreneurs en infrastructure (AQEI), la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ) ainsi que l’Association des firmes de génie-conseil du Québec (AFG) cherchent à comprendre les enjeux auxquels doivent faire face les acteurs de la construction. Ces associations d’entrepreneurs et de professionnels trouvent des réponses dans l’étude qu’a effectuée RCGT, experte en audit et conseils.

 

Un constat significatif

Près de 700 répondants ont participé à l’étude. Selon le rapport, 72 % des entrepreneurs et 82 % des professionnels ont écarté les projets publics pour plutôt mobiliser leurs effectifs sur des chantiers aux conditions qui leur paraissaient plus favorables. Avec les marchés publics, ils se disent confrontés à des retards de paiement et des clauses abusives susceptibles d’entrainer une éventuelle faillite, car incapables de payer leurs salariés et leurs fournisseurs. En parallèle, le tarif des honoraires des professionnels appliqué par les instances gouvernementales est demeuré inchangé depuis les années 80. L’indexation des montants alloués aux travaux semble, aux yeux des architectes et des ingénieurs, fondamentale afin de mieux refléter le marché actuel. Également, la rareté de la main-d’oeuvre semble être un élément capital dans la capacité à soumissionner ou non.

 

Jean-Philippe Brosseau, expert et économiste de l’équipe de conseil en transformation des affaires chez Raymond Chabot Grant Thornton. Crédit : Guillaume Millette

 

Comme dans d’autres secteurs de l’économie, la pandémie mondiale a imposé un ralentissement brutal des activités. Au sujet des perturbations d’approvisionnement découlant de la COVID-19, Jean-Philippe Brosseau, directeur principal chez Raymond Chabot Grant Thornton, estime que « la volatilité du prix des matériaux crée des incertitudes dans les relations d’affaires entre les parties ». Aucune clause d’ajustement des prix n’est prévue dans les appels d’offres en cas de retard de livraison.

 

L’entrepreneur porte seul le risque financier lié à cette inflexibilité de la part du donneur d’ouvrage. Il note un manque de considération à cet égard, lui qui se trouve à compenser les pertes en plus d’avoir à subir des pénalités de retard. En somme, la hausse des prix applicables à la difficulté d’approvisionnement et la rareté de la main-d’oeuvre sont des éléments à considérer sérieusement.

 

Les municipalités dans la mire

Parmi les donneurs d’ouvrages publics touchés par ce phénomène, les municipalités apparaissent au haut du podium. À l’unanimité, les trois groupes de répondants placent celles-ci au premier rang : 51 % pour les professionnels, 24 % pour les entrepreneurs spécialisés et 13 % pour les entrepreneurs du génie civil. Caroline Amireault, directrice générale de l’AQEI, évoque le manque d’harmonisation entre ces donneurs d’ouvrages : « Les documents d’appels d’offres diffèrent d’une entité à l’autre. D’emblée, cela complexifie le processus d’affaires et certains n’ont pas les ressources adéquates pour faire des appels d’offres. »

 

Caroline Amireault, directrice générale de l’Association Québécoise des Entrepreneurs en Infrastructure (AQEI). Crédit : Guillaume Millette

 

Par ailleurs, les grandes villes comme Montréal doivent faire face à des problématiques organisationnelles comme la délégation de pouvoir décisionnel ou les délais d’autorisation qui peuvent mener à des problèmes d’imputabilité. De plus, dans la réalisation d’un projet de construction, les processus d’ordres de changement sont un irritant majeur qui imposent à l’entrepreneur de réaliser ses travaux sans même que le prix n’ait été préalablement fixé. « Pour cela, il n’y pas de situation idéale », ajoute Caroline Amireault.

 

Vers un nouveau départ ?

L’étude cherche des solutions qui visent à rétablir un climat de confiance et de collaboration. Avec le rapport en main, les six associations se sont adressées à plusieurs donneurs d’ouvrages comme le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, le ministère des Transports du Québec et la Société québécoise des infrastructures. Ces derniers se sont montrés sensibles à la situation et se sont dit ouverts au dialogue.

 

Caroline Amireault se veut optimiste. « Il faut redevenir des partenaires d’affaires et non des opposants pour mener à bien la réalisation de chantiers. » Stimuler l’attrait du marché reste un enjeu de taille, la mise de l’avant de mécanismes visant à rendre les appels d’offres publics plus attrayants doit se faire sans tarder, estime-t-on.

 

QUATRE AXES D’INTERVENTION PRIVILÉGIÉS

Mettre en place un calendrier de paiement : le respect des échéanciers s’avérant souvent complexe, on préconise d’instaurer un calendrier de paiement obligatoire comportant une chaine de délai dans les cinq jours.

Optimiser les relations : à l’étape de réalisation des travaux, on peut consulter un intervenant expert en cas de litige. Celui-ci viendra prendre la décision dans un délai 30 jours. Ce mécanisme de règlement des différends permet d’améliorer la collaboration et évite que les entrepreneurs se retrouvent pris en otages.

Clarifier les documents d’appels d’offres : on peut spécifier, en amont, des clauses contextuelles plus équitables pour les entrepreneurs, certes des clauses de pénalités en cas de retard, mais en contrepartie un bonus si les objectifs ont été atteints. Une meilleure planification des échéanciers assure aussi de bonnes conditions de travail.

Bonifier les outils offerts aux municipalités : cela concerne les instances gouvernementales. Considérant que le millier de municipalités ont chacune leur façon de procéder, il importerait d’uniformiser les outils et la rédaction des documents d’appels d’offres.