22 avril 2013
Par Me Andréanne Sansoucy, LL.B., LL.M.

Pour être payé par les entrepreneurs avec lesquels ils ont contracté, les sous-traitants doivent normalement leur remettre une quittance. L'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire Henri Cousineau & Fils inc. c. Axa assurances inc. [1] rappellera aux sous-traitants, ou sous-sous-traitants le cas échéant, d'être prudents en remettant telle quittance. En effet, le sous-traitant qui remet une quittance, imprudemment et sans être réellement payé, pourra se faire opposer la remise de cette quittance par la caution, en défense à une action intentée contre elle.

 

Dans cette affaire, l’entrepreneur général MR (ci-après « MR ») avait confié des travaux en sous-traitance à Plomberie A.R. ltée (ci-après « Plomberie AR »), laquelle avait confié en sous-sous-traitance des travaux à Henri Cousineau & Fils inc. (ci-après « Cousineau »). Axa Assurances inc. (ci-après « Axa ») avait émis un cautionnement de main-d’œuvre et matériaux garantissant le paiement des sous-traitants de MR.

 

Plomberie AR avait obtenu de Cousineau une quittance progressive en échange d’un chèque. Ledit chèque avait toutefois été retourné par la banque en raison d’insuffisance de fonds dans le compte bancaire de Plomberie AR. Or, MR avait payé Plomberie AR, sur réception de la quittance de Cousineau.

 

Cousineau a donc poursuivi Plomberie AR et Axa pour un montant de 54 948,68 $ au motif qu’elle n’avait pas été payée, malgré la quittance. Axa a présenté une requête en irrecevabilité du recours, afin de faire déclarer le recours d’emblée irrecevable avant même de s’engager dans une audition du dossier sur le fond. Afin de trancher la requête en irrecevabilité, la Cour a identifié ainsi la question litigieuse : « La quittance signée par Cousineau rend-elle son recours irrecevable ? ». La Cour du Québec a donné raison à Axa. À titre de tiers de bonne foi, Axa pouvait se fier à la quittance signée par Cousineau. La Cour d’appel a renversé cette décision et rejeté la requête en irrecevabilité d'Axa. La Cour d’appel a indiqué que la réclamation de Cousineau est recevable compte tenu du fait que Cousineau a démontré qu’Axa s’est engagée à payer les créanciers en vertu du cautionnement, qu’elle est un créancier impayé et qu’elle peut faire valoir à l’encontre d’Axa les causes d’invalidité de la quittance signée. La Cour a par contre souligné qu’à l’occasion du débat sur le fond, Axa pourra opposer à Cousineau l’exception de subrogation, car Cousineau a, par la quittance, empêché Axa d’être subrogée dans ses droits et de réclamer les sommes dues.

 

Cet arrêt réfère aux enseignements de la Cour d’appel où une caution ayant émis un cautionnement de main-d’œuvre et matériaux avait été condamnée à payer un sous-sous-traitant nonobstant la remise par celui-ci d’une quittance. Dans l’affaire La compagnie de cautionnement Alta c. Excavation générale Sylva & Nadeau inc. et al. [2], le donneur d’ouvrage Universel avait confié des travaux à l’entrepreneur général Techni-Pro. Techni-Pro avait octroyé un sous-contrat à Sylva & Nadeau. Suite aux travaux, Sylva & Nadeau avait fourni une quittance finale à Techni-Pro en échange de chèques. Lesdits chèques avaient toutefois été refusés pour insuffisance de fonds. Sylva & Nadeau s’était adressé à Universel et sa caution Alta. Devant les tribunaux, la caution Alta plaidait que Sylva & Nadeau avait donné une quittance finale à Techni-Pro et qu’en ce faisant, elle l’avait libérée de toute obligation. La Cour d’appel avait jugé qu'Universel aurait dû s’assurer que les chèques avaient été encaissés avant de payer Techni-Pro, en raison des circonstances particulières de cette affaire : Universel connaissait la situation précaire financière de Techni-Pro et savait que Sylva & Nadeau avait signé la quittance finale sur réception de chèques non certifiés. La Cour d’appel avait ainsi rejeté l’appel et maintenu le jugement de première instance condamnant la caution Alta à payer Sylva & Nadeau.

 

Malgré que ce dernier arrêt démontre que la remise d'une quittance n’empêchera pas dans tous les cas le sous-traitant qui l’a remise d’être payé par la caution et que l’arrêt Henri Cousineau & Fils inc. c. Axa assurances inc. démontre qu’il est possible d’opposer à la caution les causes d’invalidité d’une quittance signée, la défense de l’exception de subrogation à laquelle réfère la Cour d’appel apparaît être un argument de taille pour la caution. Dans ce contexte, les sous-traitants devraient être prudents en signant une quittance. Ils peuvent éviter les litiges de l’ordre de ces deux derniers dont la Cour d’appel a été saisie. La première méthode que nous vous suggérons consiste à demander à son avocat(e) d’agir à titre d’intermédiaire pour finaliser le paiement final. Cette méthode permet d’éviter de donner une quittance et se retrouver ensuite face à un chèque refusé pour insuffisance de fonds ou encore que l’autre partie décide de ne pas transmettre le chèque attendu. Suivant les circonstances particulières, l’une des façons de faire est pour l’avocat(e) de demander par lettre à l’entrepreneur général ou au donneur d’ouvrage de faire un chèque au nom du cabinet d’avocats, en fidéicommis. Cette lettre prévoit que le cabinet d’avocats ne sera autorisé à transférer les fonds à son client que lorsque l’entrepreneur général ou le donneur d’ouvrage confirmera avoir reçu l’original de la quittance signée. L’avocat(e) peut ainsi s’assurer de n’envoyer la quittance que lorsque les sommes se trouvent bel et bien dans le compte en fidéicommis.

 

La deuxième méthode que nous vous suggérons est d’exiger une traite bancaire en échange de la quittance. Par l’émission d’une traite bancaire, la banque devient responsable et l’acheteur ne peut émettre de contrordre [3]. Bien que par le chèque certifié, la banque ne puisse refuser de payer par manque de fonds dans le compte du tireur, le chèque certifié apparaît moins sécuritaire dans la mesure où il peut être endossé (contrairement à la traite qui est émise pour un débiteur précis) et où la certification n’opère pas un véritable transfert, la banque peut être relevée de son obligation de payer par un ordre du tribunal [4].

 


Pour toutes questions ou commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec Me Andréanne Sansoucy à asansoucy@millerthomsonpouliot.com ou par téléphone au 514 871-5455.

 


1. Henri Cousineau & Fils inc. c. Axa assurances inc., 2010 QCCA 1000.

2. La compagnie de cautionnement Alta c. Excavation générale Sylva & Nadeau inc. et al., REJB 1998-06404.

3. Nicole L’HEUREUX, Édith FORTIN et Marc LACOURSIÈRE, Droit bancaire, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 408.

4. Id., p. 573-574 ; La Chambre des notaires recommande d’ailleurs notamment la traite bancaire pour le transfert de fonds : Chambre des notaires du Québec, « Transfert de fonds entre collègues notaires », Communiqué du 14 avril 2010.

 

Miller Thomson avocats

 

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 19 avril 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !