Les résidences pour aînés propulsent le marché

5 mai 2017
Par Marie Gagnon

Le vieillissement de la population ne freinera pas la construction au cours des années à venir. Bien au contraire, les personnes âgées de plus de 75 ans façonneront vraisemblablement le marché immobilier de demain.
Tour d’horizon.

Au cours des prochaines années, le nombre de personnes âgées de 75 ans et plus connaîtra une hausse spectaculaire au Québec. Selon toute vraisemblance, cette tranche de la population recherchera des logements plus petits, et elle favorisera également le mode locatif. De l’avis des experts, la demande pourrait être si forte que le marché risque d’avoir du mal à la satisfaire.

 

Toutefois, avant de se lancer à corps perdu dans la mise en chantier de résidences pour aînés, mieux vaut scruter les perspectives du marché de l’habitation. Pour cela, il convient de s’intéresser d’abord à l’un de ses acteurs principaux : le ménage. C’est ce qu’a fait récemment la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), à la lumière des données de Statistique Canada. La SCHL a ainsi dégagé les caractéristiques relatives au type de ménage, à sa taille et à son mode d’occupation.

 

Ces informations, conjuguées aux projections démographiques du Québec, jettent un nouvel éclairage sur les tendances qui façonneront le marché de demain. « D’un côté, l’ampleur du vieillissement de la population contribuera à la croissance du nombre de ménages de faible taille, relève Kevin Hugues, économiste régional au Centre d’analyse de la SCHL. De l’autre, les ménages vieillissants seront de plus en plus séduits par la vie en appartement locatif. »

 

Une vague de fond

En effet, depuis l’après-guerre, la part des ménages familiaux ne cesse de décliner à l’échelle de la province, passant de 92 % en 1951 à 64 % en 2011. Ce faisant, la croissance des ménages de petite taille – composés d’une ou deux personnes – a suivi la tendance inverse. Représentant à peine 20 % des ménages en 1951, ils formaient près de 70 % des ménages non familiaux en 2011. Vu sous cet angle, il y a fort à parier que le besoin de logements de faible taille sera en hausse.

 

Autre variable à considérer dans l’équation : le mode d’occupation. La SCHL estime que, même si la proportion de ménages québécois locataires a diminué d’environ 10 % depuis les 60 dernières années, passant de 50 % en 1951 à 40 % en 2011, les ménages vieillissants devraient être de plus en plus attirés par la vie en logement locatif, dont certaines caractéristiques, comme la facilité d’entretien et la vie en communauté, sembleront mieux adaptées à leurs besoins.

 

Enfin, selon les plus récentes projections démographiques de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), la formation nette de ménages est appelée à diminuer au Québec au cours des prochaines décennies. Si l’on se fi e au scénario de l’ISQ, celle-ci doit passer d’environ 43 000 ménages en 2011 à près de 30 000 en 2021. Une tendance à la baisse qui devrait se maintenir jusqu’en 2050 et se répercuter sur le marché de l’habitation, à mesure que croîtra le nombre de ménages de 75 ans et plus.

 

Pourquoi ce groupe d’âge en particulier ? Parce que c’est souvent à cet âge que se fait sentir le besoin de changer de mode d’occupation, fait valoir Kevin Hughes. La croissance du nombre de ménages de 75 ans et plus est sur le point de s’accélérer de façon significative et devrait rester à un niveau relativement élevé au cours des décennies à venir. Selon les prévisions de l’ISQ, le nombre de ménages de cette cohorte devrait osciller entre 20 000 et 25 000 sur la période comprise entre 2022 et 2036.

 

Des promoteurs à l’écoute

Cette croissance phénoménale, de nombreux promoteurs l’anticipent déjà. Ils y répondent par une accélération des mises en chantier d’habitations adaptées aux besoins de cette clientèle. C’est le cas notamment du Groupe Résidences du Patrimoine (GRDP), qui s’apprête à donner ce printemps le coup d’envoi d’un complexe pour aînés à L’Ancienne-Lorette. Le projet doit compter entre 420 et 450 logements, dont une centaine d’unités de soins pour personnes en perte d’autonomie.

 

Le président de GRDP, François Audet, indique que le volet locatif représentera environ 95 % du projet total, l’autre 5 % devant être constitué de copropriétés. D’une valeur de 25 millions de dollars, la première phase du projet comprendra ainsi 260 logements locatifs d’une ou deux chambres, pour une superficie allant de 500 à 1 000 pieds carrés. Le loyer mensuel variera entre 1 000 et 2 000 dollars, selon les services.

 

« Les derniers baby-boomers ont actuellement entre 55 et 60 ans, signale-t-il. Dans 20 ans, ce sera l’âge d’or de l’âge d’or, et on s’y prépare. Nous ne sommes pas les seuls, les principaux joueurs présents dans le marché ont enclenché la quatrième vitesse et sont actuellement à la recherche de sites, à développer des concepts ou à construire. Les gens mettent leurs pions en place. »

 

« Notre projet est très réfléchi, fait valoir pour sa part Daniel Tremblay, le directeur Ventes et marketing de GRDP. Ce qu’on voit à l’heure actuelle, c’est que les baby-boomers commencent à placer leurs parents et qu’ils leur transfèrent leurs goûts et leurs besoins. Et ils sont très exigeants. Les concepts qui offrent seulement un dépanneur, une pharmacie et un salon de coiffure, c’est fini. Maintenant, les complexes pour aînés ressemblent davantage à des hôtels 4 étoiles, avec un hall de type salon-bar, des commerces et des installations de loisirs. »

 

La première phase du futur complexe de L’Ancienne- Lorette correspond à ce profil. Le promoteur prévoit entre autres y aménager une piscine, un cinéma, un gymnase et une salle à manger. Quant aux services et commerces de proximité, ils seront aménagés dans la deuxième phase. Une passerelle reliera entre elles les différentes phases (il pourrait y en avoir quatre en tout), permettant ainsi à tous les résidents d’en profiter sans s’exposer aux intempéries.

 

« On veut développer l’approche intergénérationnelle pour favoriser les relations entre les parents et leurs enfants, ajoute Daniel Tremblay. C’est un peu la raison d’être des copropriétés. On songe même à aménager une garderie. C’est une formule qui marche en Europe et c’est efficace pour le maintien des facultés cognitives chez les aînés. Il faut bien se positionner. Avec ce projet, on veut aller au-devant de la demande. »

 

BABY-BOOMERS : LA GRANDE ÉNIGME

S’il est une question fondamentale en ce qui concerne les projections du marché pour les années à venir, c’est bien la trajectoire qu’emprunteront les baby-boomers. Vontils vivre en résidence ou choisiront-ils de vieillir dans leur logement actuel ? Vont-ils opter pour un appartement locatif ou une copropriété ? Vont-ils vendre leur maison devenue trop grande pour en acquérir une moins vaste ?

 

La réponse est loin d’être simple, convient Kevin Hughes. « Les baby-boomers eux-mêmes ne le savent pas encore, dit-il. Mais c’est surtout leurs finances personnelles qui vont dicter leur choix. Actuellement, et c’est un contexte inédit, plusieurs arrivent à la retraite avec une dette hypothécaire. Avec le fi let social qui s’effrite, ils devront débourser davantage pour des soins de santé. Et s’ils espèrent financer leur retraite en vendant leur maison et qu’ils le font tous en même temps, le marché risque de basculer. De plus, il est possible qu’ils n’obtiennent pas le prix souhaité au départ. »